Plusieurs grandes idées président au développement des mythes et habitudes collectives caractérisant les Américains en société, à tout moment de leur histoire.
C’est dans ce registre, dont les thèmes traversent l’histoire des Etats-Unis et les partis politiques, que les « intellectuels organiques » (au sens Gramscien du terme[1]) ou les manipulateurs de symboles (au sens Reichien du terme[2]) ont puisé pour justifier leur « révolution conservatrice » (qui n’a rien de moderne ni de progressiste).
Un inventaire de trois de ces idées-forces : Puritanisme, Agrarianisme et Frontière, nous permettra de mieux comprendre les fondements idéologiques des référentiels conservateurs et libertariens américains qui se sont imposés dans les milieux dirigeants au cours des années 1970 et 1980, malgré leurs composantes antagoniques et les affrontements subséquents de certains de leurs sectataires opposés à cette fusion déclarée contre nature[3].
Elitisme de masse et exclusion de la différence avec le Puritanisme
Cette doctrine religieuse issue du protestantisme, circonscrite au départ au Massachusetts avant d’irriguer la Nouvelle Angleterre, comporte une définition très particulière de la société, de son mode de gouvernement et des vertus civiques indispensables à sa cohérence. A l’origine de la démocratie américaine, elle porte également en elle les ferments d’intolérance politique, religieuse et éthique qui fondent la révolution conservatrice des années 1980 – ferments que l’on retrouve dans le totalitarisme intellectuel des économistes néo-libéraux américains (exclusion et ignorance de tout ce qui n’est pas conforme à l’orthodoxie philosophico-économique que véhiculent leurs écrits).
Ce sont les premiers « pèlerins » (Founding Fathers) débarqués à Plymouth (Massachusetts) en 1620, suivis dix ans plus tard par une forte implantation dans la région de Boston qui, grâce à la relative autonomie administrative dont leur colonie bénéficie (par une charte royale britannique octroyée en 1629), formulent des règles d’organisation de la société conformes à leur idéal. D’obédience « congrégationaliste », ils fuient tout d’abord la tutelle anglicane en 1609 pour tenter d’emporter avec eux la doctrine calviniste vers les Provinces-Unies. Mais craignant que leur postérité ne devienne hollandaise et ne se corrompe au contact d’un milieu qu’ils estiment moralement peu élevé et enclin à l’hérésie[4], ils décident de se rendre en Amérique et d’y bâtir une « Nouvelle Jérusalem ». Afin d’y parvenir, ces cent trente et un « pèlerins » adoptent un accord politique à bord du navire qui les transportent (Mayflower Compact). Il traduit un accord spirituel entre Dieu et les « Saints » pour fonder une cité dans laquelle la loi de Dieu sera juste et égale pour tous. Dans ce contexte naît l’idée qu’une société nouvelle peut se constituer, dont l’histoire est contenue en germe dans la Bible, et qui raconte, en termes accessibles à tous, les objectifs à atteindre et les erreurs à ne pas commettre[5].
Sous la pression de l’histoire locale et d’idées nouvelles au siècle suivant, tout un pan de l’idéologie américaine va consister à séculariser ces idéaux. On renoncera progressivement, précise Bernard Poli, à la formule selon laquelle un contrat (compact) unit Dieu à ses fidèles et les assure, comme dans la Bible, de parvenir à la terre promise. Mais l’espérance restera forte sous la forme de deux articles de foi : « Dieu protège l’Amérique » ; et « l’Amérique est la terre promise pour tous ceux qui veulent y commencer une vie nouvelle »[6]. Dans le nouveau régime que le royaume anglais tolère, une assemblée de représentants baptisée « General Court » possède le droit de rédiger des textes légaux à la condition qu’ils ne soient pas en contradiction avec ceux du Royaume. Typique de cette « Nouvelle Angleterre » est la création en 1641 d’un recueil de lois connu sous le nom de « Somme des Libertés » (Body of Liberties), qui définit un ensemble de « libertés, immunités et privilèges ». Cette démarche annonce la laïcisation progressive de la loi et des institutions et, de façon paradoxale dans une société rigide, hiérarchisée et intolérante dans son inspiration (fondamentaliste), en vient à formuler certains principes de respect de l’individu et de la communauté souveraine. Cette société fermée à l’origine, qui repose sur le libre consentement de ses membres et aspire à assurer leur sécurité et leur bien (welfare), se donne aussi le droit d’exclure ceux qui veulent y pénétrer sans son consentement, et de bannir ceux qui refusent de se soumettre à ses lois.
Devenue la religion de l’action soutenue par l’optimisme, le puritanisme américain est une réaction contre l’oisiveté des aristocrates britanniques, auxquels la couronne anglaise a attribué des colonies. Brusquement, l’aristocratie de naissance se trouve remplacée par une « élite de masse » dont les membres s’appellent les « Saints », par opposition à ceux qui n’en font pas partie et n’ont que très peu de droits. Il s’agit en fait, comme l’écrit Jean-Pierre Fichou, du remplacement d’une élite de naissance par une autre, fondée sur une religion très engagée dans la vie quotidienne[7]. Cette « aristocratie américaine » n’est, au départ, ni héréditaire, ni terrienne et chacun doit continuellement y mériter sa place. Dans la société neuve qui se construit, les riches sont ceux qui ont travaillé, ont été vertueux et sont aimés de Dieu, puisqu’ils ont eu la chance avec eux. Inversement, les pauvres peuvent nourrir quelques inquiétudes : ou bien ils ont manqué d’ardeur ; ou bien c’est Dieu qui ne les a pas aidés car ils ne sont pas aimés et ils seront condamnés. Certains voient dans cette extension de la doctrine calviniste, l’explication du culte de la richesse et de la réussite matérielle qui domine aux Etats-Unis. Ce sont ces idées qui motiveront les libertariens (cf. David Friedman, le fils de Milton) à contester la redistribution autoritaire des richesses et la solidarité imposée qui sont pour eux, aux antipodes du système américain. La redistribution ne doit se faire que si le créateur de biens et celui qui possède, le désirent (charité), jamais parce qu’on la leur impose. L’un des paradoxes, précise ainsi Fichou, c’est qu’une société « égalitariste » au sens américain débouche nécessairement sur une société inégalitaire quant à ses résultats[8].
Le puritanisme ne s’étend pas toutefois dès les 17ème et 18ème siècles à l’ensemble des colonies. La Pennsylvanie, le Rhode Island, et tout le Sud y échappent, de sorte que leur mentalité reste bien plus proche du système britannique et s’oppose à la mentalité yankee. Toutefois, le triomphe du Nord sur le Sud, l’industrialisation et l’urbanisation du pays vont, au dix-neuvième siècle, entraîner son extension. Et c’est en réaction au développement d’une forme de capitalisme industriel et financier, qui voit émerger des fortunes gigantesques et rapides, en même temps qu’apparaissent des compagnies géantes, que l’agrarianisme retrouve un second souffle.
Défiance envers l’Etat central, rejet de l’impôt et de la bureaucratie avec l’agrarianisme
Porté par les idées des philosophes européens, ce modèle (qui conserve toujours valeur d’idéal) s’appuie sur l’idée d’une démocratie fondée sur la vertu de petits agriculteurs indépendants, appelés par leur travail et leur frugalité à devenir les bienfaiteurs de la collectivité nationale.
Ces principes sont parfaitement mis en œuvre dans les colonies, puis dans les Etats-Unis des premières années : le pays est agricole, et l’industrie pratiquement inexistante. Le « subsistance farming » prédomine, chacun produisant la quasi-totalité de ce qu’il consomme et échangeant ses maigres surplus contre les produits manufacturés qu’il ne sait pas fabriquer[9]. A cette époque, les propriétaires ne dépendent de personne : le gouvernement est trop éloigné, les routes ne sont pas encore tracées. Les communautés s’administrent elles-mêmes de manière directe et règlent leurs problèmes sans aide extérieure tout en veillant jalousement sur leur autonomie. Pour les agrariens, l’homme est naturellement bon, et c’est la société qui encourage le mal lorsqu’elle est trop étouffante ou directive. Le gouvernement n’est qu’un mal nécessaire, dont il faut s’accommoder si l’on veut consolider l’union entre les Etats ou protéger le pays contre l’inimitié d’une Europe toujours trop belliqueuse. Il faut que chaque Etat, chaque communauté, chaque individu puisse protéger sa propre originalité et son indépendance. Les agrariens divisent la société en deux groupes aux intérêts opposés : les petits fermiers, les petits entrepreneurs, les travailleurs qui produisent ; les spéculateurs-capitalistes qui se servent des autres et utilisent leur influence pour accroître leur richesse. Quand ces derniers n’utilisent pas la corruption, ils utilisent les lois qu’ils multiplient quand elles les favorisent et s’appuient sur l’Etat qu’ils dirigent généralement par personnes interposées.
Trois grands principes découlent de ces idées :
– « le pouvoir politique est dangereux : il faut donc le garder en laisse car il peut, quand il a les coudées franches, transférer la richesse des mains de ceux qui la produisent, dans celles de ceux qui en profitent ;
– l’impôt entretient une bureaucratie inutile et néfaste qui redistribue les biens sans en produire ; il pénalise injustement les actifs au bénéfice des oisifs et des improductifs ;
– le développement des grandes entreprises n’est pas souhaitable : il favorise l’anonymat et entraîne un désintérêt général, tandis que l’essentiel des bénéfices va aux propriétaires, qui sont souvent inactifs, au lieu d’aller aux travailleurs qui sont les seuls créateurs de biens »[10].
Aux premiers temps de la formation du pays, ce modèle est appliqué de manière instinctive et pour ainsi dire par nécessité, en raison du caractère rural de la société coloniale[11]. Puis il est formulé de manière plus ou moins claire à l’époque de la guerre d’Indépendance. Mais il ne sera pour autant mis en œuvre que très imparfaitement par ceux-là même qui le conçoivent – et notamment par Thomas Jefferson – lorsqu’ils accèdent au pouvoir. Le Président Jefferson (élu en février 1801) se trouve en effet confronté à des obstacles propres à une société en pleine transformation. Sa lutte contre Alexander Hamilton avait déjà laissé entrevoir le caractère utopique de certaines de ses idées[12], dans un pays où l’industrie n’attendait que l’indépendance nationale pour prendre son essor. Il faut patienter jusqu’à l’élection de Andrew Jackson(1828)pour voir l’exécutif revenir à l’agrarianisme. Homme de l’Ouest, ce dernier s’efforce de préserver l’indépendance et les chances des petits fermiers et pionniers sur lesquels il appuyait son pouvoir, en interdisant aux grandes fortunes de l’Est de spéculer sur les terres, et en réduisant l’étendue du pouvoir politique pour briser le cours de la vie économique et freiner son action centralisatrice. Les principes guidant l’action de Jackson sont les suivants : la concurrence est à la source de l’égalité des chances qu’il convient de préserver à tout prix pour que les « petits » puissent se mesurer aux « grands ». Chacun doit pouvoir créer son entreprise, les banques doivent être libérées de la tutelle gouvernementale, et les petits propriétaires qui acceptent de déléguer leurs pouvoirs doivent, par des élections fréquentes et diversifiées, contrôler ceux qui les ne les dirigent qu’avec leur consentement.
La philosophie agrarienne exprime ainsi probablement les aspirations les plus profondes de la société qui s’est créée au Nouveau Monde. Mais elle n’a jamais pu triompher[13]. Lorsque le pays entreprend de se doter d’une économie et d’une industrie capables de rivaliser avec celles d’Europe, les principes agrariens sont écartés même s’ils conservent la valeur d’un idéal. Et ce sont les conceptions plus jacobines et centralisatrices d’un Alexander Hamilton[14] – conceptions qui font le lien avec les idées des vieux puritains défenseurs des valeurs morales, du travail et des positions sociales acquises – qui triomphent au 19ème siècle. Elles provoquent ou accompagnent l’apparition d’une élite capitaliste formée dans les universités de l’Est, entraînant dans son sillage le développement industriel et urbain. Il n’en reste pas moins que l’agrarianisme subsiste à l’état latent et renaît épisodiquement de ses cendres[15] (cf. infra les travaux des économistes californiens à l’origine de la Reaganomics).
Darwinisme, individualisme, et pragmatisme » avec la Frontière
Formulée en 1893 par l’historien Frederick Jackson Turner dans une communication intitulée La signification de la Frontière dans l’histoire américaine, cette théorie d’inspiration agrarienne a été manipulée et élargie pour expliquer des faits qui lui sont parfois postérieurs. Turner explique la culture des Etats-Unis par « l’esprit pionnier » et la particularité des institutions américaines par le fait qu’ « elles ont été contraintes de s’adapter à l’évolution d’un peuple qui se développait dans l’espace ». On retrouvera ces thèmes dans les arguments de campagne que le candidat Reagan utilisera pour initier sa « révolution conservatrice américaine ».
La frontière est vue par Turner comme « le point de rencontre entre le sauvage et le civilisé ». Cette zone en perpétuelle mouvance, où les pionniers sont en contact direct avec une terre vierge et les peuples indiens, fait naître des attitudes neuves qui contribuent à former le caractère national. La Frontière est avant tout un état d’esprit. Seul ou au sein de la caravane, le pionnier doit créer ce qui lui manque, en agissant conformément à sa personnalité, tout en s’appuyant sur les autres pour assurer sa survie, les soutenant à son tour quand ils le demandent. Comme son ancêtre débarqué sur la côte atlantique, il doit savoir tout faire : fermier, tonnelier, enseignant, chasseur, etc. Il doit être habité d’un optimisme solide pour tout quitter et doit être adaptable et inventif pour survivre. Le dynamisme et la vie quotidienne des hommes et femmes de la Frontière témoignent de leur volonté d’agir et non de contempler ou de réfléchir. Ces deux éléments, l’action et l’optimisme, n’ont jamais laissé le champ libre à l’intellectualisme et ouvrent la voie à une tradition de pragmatisme. Quant à la notion d’abondance, elle est le principe moteur de cette marche vers l’Ouest, avec en corollaire celle de gaspillage. Pourquoi économiser quand les ressources sont aussi abondantes ?
Les pionniers de 1880 se retrouvent seuls et livrés à eux-mêmes alors que la société de l’Est, déjà élaborée, offre un certain nombre d’institutions (églises, écoles, tribunaux, etc.). Certains d’entre eux quittent l’Est où ils se sentent prisonniers de ces institutions, comme leurs ancêtres avaient quitté l’Europe pour se libérer des contraintes sociales. Ils procèdent donc à une véritable « auto libération » – une démarche qui est le point de départ (ou la continuation) de cette tendance individualiste, une constante de la société américaine[16] ; elle traduit leur méfiance à l’égard des institutions rigides, le désir d’agir par soi-même, sans la tutelle de ceux dont le métier est d’être responsable des autres ; elle engendre également la manifestation d’un réel désir de décentralisation dont le fédéralisme n’est qu’une conséquence subie plus que souhaitée. Car la société de l’Ouest ne connaît pas la division du travail et vit, dans la tradition agrarienne, en petites unités autarciques. Les conditions sont donc propices à l’avènement de la démocratie puisque tous se retrouvent dans la même situation, confrontés aux mêmes ennemis, à la nature hostile. L’égalité des chances est là mieux préservée qu’ailleurs, chacun ne survivant qu’en fonction de ses qualités propres, de son énergie, de son inventivité. Cette situation suppose des qualités : une grande confiance en soi, un besoin constant d’agir en prenant des risques ; elle génère une sélection naturelle (darwinisme social[17]), les plus forts se nourrissant des plus faibles, dans une société se livrant à une perpétuelle course à l’adaptation et au succès.
La théorie
de la Frontière pêche par omission[18]. Elle n’explique pas, par exemple, la révolution
industrielle qui lui est postérieure (même si elle l’annonce en dégageant les
traits du caractère national qui l’ont favorisée). Il est donc préférable de la
considérer comme un mode d’investigation,
une base de départ. On peut ainsi,
avec Michael Kammen, la compléter par une analyse en termes de pluralisme
instable, qui invite à partir des contradictions et paradoxes de la
civilisation américaine pour en obtenir la somme culturelle[19].
Comme exemples de paradoxes américains, il est possible de citer : le désir
d’appartenir à un groupe et la recherche de la liberté individuelle, la
coexistence d’une nouvelle hiérarchie et de l’égalitarisme, l’antagonisme dans
le domaine religieux entre le respect de la liberté individuelle et la
nécessité d’une discipline stricte (chez les puritains en particulier),
l’autonomie et le consensus, l’interventionnisme et le laisser-faire,
l’expansionnisme et l’isolationnisme, etc. C’est
la résolution précaire de l’opposition de ces symboles qui selon Kammen les
rassemble et engendre le pluralisme
instable.
[1] Cf. les précisions que nous apportons sur ces concepts dans la sous-partie intitulée « La problématique des élites », in « Fondements Epistémologiques d’une Démarche « Mondiologique » https://worldissuesandservices.org/2018/11/27/49/
[2] Ibid.
[3] Nous expliquons comment ces référentiels ont été « fusionnés » par Frank Meyer, un ancien communiste américain devenu conservateur (comme James Burnham et d’autres dont nous expliquons la trajectoire politique et intellectuelle) dans l’article n°7 de ce blog.
https://worldissuesandservices.org/2019/01/10/7-conservatisme-versus-libertarianisme-aux-etats-unis-une-fusion-contre-nature-organisee-dans-les-annees-1950-pour-gagner-la-guerre-des-idees/
[4] Marie-France. Toinet, « Aux sources puritaines de la pensée réactionnaire », dans : « Le nouveau modèle américain », Manière de Voir, août 1996, n° 31, p. 38.
[5] Bernard Poli, Histoire des doctrines politiques aux Etats-Unis, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, pp. 6-7.
[6] Ibid.
[7] Jean-Pierre Fichou, La civilisation américaine, Paris : Presses Universitaires de France, 1994, 3ème édition corrigée, pp. 78-79.
[8] Ibid.., p. 58.
[9] Ibid., p. 9.
[10] Ibid. pp. 10-11.
[11] Ibid., pp. 8.
[12] Thomas Jefferson, le principal rédacteur de la Déclaration d’Indépendance trace, dans L’état présent de la Virginie (Paris, 1784), le portrait du « fermier-citoyen » vertueux, loin des villes et des industries qui corrompent, et protégé par un gouvernement bienveillant. Mythe ou portrait-robot, ce personnage était en tout cas le colon anglais devenu citoyen des Etats-Unis, au nom duquel avait été écrite la Déclaration d’Indépendance. B. Poli, op. cit., pp. 14-15.
[13] Jean-Pierre Fichou, op. cit., p. 12
[14] Auteur, avec John Jay et James Madison des Federalist Papers (1788). Ils sont partisans d’un pouvoir central fort (Fédération) et s’opposent aux défenseurs de l’autonomie des Etats (Confédération). Hamilton est aussi, avec son adversaire T. Jefferson, l’un des membres influents du cabinet de G. Washington élu en mars 1789 premier Président des Etats-Unis.
[15] En 1873, les associations de fermiers organisés en « granges » (nom donné à leurs clubs coopératifs), dénoncent les monopoles, les obstacles mis au fonctionnement d’institutions libres et au commerce. Elles demandent la fin du despotisme que les compagnies de chemin de fer exercent à leur égard. Leur revendication s’explique par le fait suivant : les nouveaux Etats de l’Ouest et du Sud pratiquent essentiellement la monoculture. Loin des marchés qui offrent des débouchés, ils dépendent des moyens de transport, de stockage et de crédit concentrés entre les mains des capitalistes de l’Est. Ils dépendent également, pour leurs achats, de produits en provenance de l’étranger soumis à des droits de douane élevés. Une nouvelle coalition politique se forme donc à partir de leur mouvement qui menace le pouvoir républicain de l’époque. Toutefois, les fermiers se déclarent sans lien ni attache avec les partis politiques et annoncent qu’ils donneront leurs suffrages à ceux qui endossent leurs revendications. Bernard Poli, op. cit., pp. 72-73.
[16] Jean-Pierre Fichou, op. cit., p. 17.
[17] Comme le souligne Fichou, les premiers essais d’américanisation sont darwiniens : tout d’abord avec les Pères Pèlerins ; persécutés en Europe, ils vont implanter leur religion dans un environnement, un « territoire » plus favorable. Ils se sont adaptés et, devenus les plus forts, ont repoussé les Quakers et les catholiques. C’est un des premiers exemples de lutte pour la vie dans la jungle culturelle américaine. Le second exemple pourrait être le triomphe des colons sur les indigènes, dans : La civilisation américaine, Presses universitaires de France, Paris, 1994, 3ème édition corrigée, p. 35. Ajoutons toutefois que le « darwinisme social » introduit par Spencer dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle introduit la justification d’une aristocratie « naturelle » (dans un sens bien différent de Jefferson), dont les hommes d’affaires sont les véritables représentants. Dans cette interprétation, le rôle de l’Etat et de la loi consiste à protéger cet « ordre naturel » (dont la propriété), et doit se garder de vouloir le corriger. La compassion des riches leur enjoint de secourir les pauvres, mais surtout d’élever leur sens des responsabilités morales pour qu’ils acceptent leur place dans l’ordre naturel. Une telle attitude, écrit B. Poli, est en régression par rapport au libéralisme ouvert de la première moitié du siècle, qui commençait à introduire la notion de bien public dans la législation économique. Paradoxalement, alors qu’elle se fondait sur une théorie de l’évolution, elle se traduisait en une conception de la société totalement figée. C’était le triomphe du conservatisme. B. Poli, op. cit., p. 70.
[18] Jean-Pierre Fichou, op. cit., p. 21.
[19] Michael. Kammen, A People of Paradox, Ithaca: Cornell University Press, 1972 (1st edition), cité in J. P. Fichou, pp. 31-33.
Un avis sur « 4 – Puritanisme, Agrarianisme, Frontière : Les fondements idéologiques du renouveau conservateur américain »