article : 11 – Le boomerang de « l’islamisme radical[1] » : effets induits des stratégies Etats-uniennes de refoulement[2] de l’influence soviétique au Moyen-Orient[3] et en Asie centrale[4]
De l’Afghanistan à la Syrie, en passant par l’Irak, il est aujourd’hui possible de constater que, « la guerre contre le terrorisme » déclenchée par les Etats-Unis de Georges W. Bush après les attentats islamistes sur le sol américain du 11 septembre 2001, n’a pas eu les effets escomptés[5]. Les mouvements salafistes violents comme Daech/EI, Al-Qaida et ses franchises régionales, ou les Talibans, etc. sont parvenus à mettre en échec, sur le terrain des opérations militaires (en Afrique, en Afghanistan, dans le Golfe), mais également au cœur même des pays occidentaux, ou sur internet, les polices et les armées des pays les plus puissants de la planète. Propageant ainsi leurs ondes de choc dans le monde arabe, mais également, bien au-delà, par l’intermédiaire de « néo fondamentalistes qui ont su islamiser la globalisation » (Olivier Roy, 2002)[6], les mouvements violents salafistes[7] qui offrent à une jeunesse « déterritorialisée et internationalisée[8] », en manque de repères, un discours de refondation d’un islam universel très influencé par le wahhabisme[9] saoudien, ne sont pourtant que les créations de schèmes tortueux conçus à une autre époque par les Etats-Unis et Israël, désireux d’endiguer l’URSS et ses alliés ou clients dans des zones du monde que leurs dirigeants jugeaient stratégiques.
C’est en effet dans le contexte de la guerre froide que Washington conçoit une stratégie Pro-Islamiste Sunnite dont l’objectif principal est d’empêcher l’URSS de prendre pied dans le Golfe Arabo-Persique et en Asie Centrale.
La manufacture du chaos moyen-oriental est, en partie[10], un produit de la guerre froide
Plusieurs phases peuvent être ainsi distinguées. Des années 1950 à 1970, la volonté de contenir l’expansion de régimes laïques, socialisants et nationalistes qui entretiennent des liens avec Moscou (soutien politique, livraisons d’armes, etc.)[11]: Egypte et le projet panarabe de Nasser, Partis Baas (« résurrection » en arabe) en Syrie et en Irak ; puis entre les années 1970 et 1980, instruits par les ententes sur la hausse des prix du brut entre pays pétroliers qui se traduisent par deux chocs (1973 et 1979) dont pâtissent les économies des pays les plus riches, les Etats-Unis décident de privilégier la sauvegarde de l’accès aux ressources pétrolifères de la zone tout en interdisant à l’URSS l’accès aux mers chaudes ; en 1979, la chute du shah, principal allié des Etats-Unis dans le Golfe et l’instauration de la République islamique d’Iran, puis la prise d’otages de l’ambassade américaine de Téhéran vont convaincre les Etats-Unis de la nécessité de contenir les ambitions de l’Iran chiite et l’exportation de sa révolution.
Différentes administrations américaines ont ainsi parié, historiquement, sur l’Arabie Saoudite, le plus riche Etat musulman du monde, mais également sur les réseaux religieux sunnites, pour contenir ces différents types de menaces, consolidant par là même le pouvoir des Wahhabites dans le Golfe. Le rapprochement démarre lorsque le président Franklin D. Roosevelt et le roi Abdelaziz Ibn Saoud signent, en février 1945, à bord du croiseur américain « Quincy » un pacte (« Pacte du Quincy ») par lequel les Américains garantissent au monarque et à ses successeurs une protection militaire sans faille en échange d’un accès aux gisements pétroliers. « Ibn Saoud octroie à l’Aramco un monopole d’exploitation de tous les gisements pétroliers du royaume pour une durée d’au moins soixante ans en échange d’un loyer versé au roi (le pacte a été renouvelé pour soixante ans en 2005).[12] ». Les américains préparent, à l’insu de leur allié britannique, son exclusion du Moyen-Orient. C’est ensuite le président Ike Eisenhower qui, en juillet 1953, invite, à la Maison Blanche, une délégation de musulmans parmi lesquels Saïd Ramadan, gendre de Hassen El Banna, fondateur de la confrérie des frères musulmans. A cette occasion, le président américain déclare : « Notre foi en Dieu devrait nous donner un objectif commun : la lutte contre le communisme et son athéisme [13]». Il faut toutefois attendre la deuxième moitié des années 1970 pour que l’administration Carter (1977-1981), sous la pression de Zbigniew Brzezinski, le « National Security Adviser » de la présidence, décide de jouer la carte islamiste pour affaiblir l’Union Soviétique. Ronald Reagan poursuivra sur la piste tracée par son prédécesseur, encourageant les fondamentalistes de tous les pays arabes à combattre les communistes et les nationalistes dans leur propre pays[14].
C’est donc comme protecteur et exploitant des formidables réserves pétrolières d’Arabie saoudite, mais aussi comme antidote à la subversion communiste, au nationalisme arabe socialiste, et à la révolution iranienne chiite que les Etats-Unis vont soutenir le royaume saoudien dans le financement de mouvements fondamentalistes décidés à unifier tous les musulmans sous la bannière de l’islam sunnite[15]. Dans le même temps, soutenus par l’activisme soviétique (dont l’objectif est d’ « éviter la formation d’un front pro-occidental et des alliances avec les Etats-Unis[16] ») et celui de ses pays satellites, la Lybie du colonel Kadhafi, la Syrie de Hafez el Asad et l’Irak de Saddam Hussein, deviendront les protecteurs et manipulateurs de groupes terroristes affiliés aux extrêmes Gauches des pays riches et des pays arabes à l’origine de nombreux attentats dans le monde ciblant les intérêts américains et ceux de leurs alliés.
L’Arabie des Al Saoud, enrichie par les revenus issus des chocs pétroliers (entre 1973 et 1978 ils bondissent de 4, 35 milliards à 36 milliards de dollars[17]) va donc investir une partie de cette manne dans la promotion de l’Islam hanbalite[18] qui inspire les leaders des mouvements sunnites et wahhabites. L’aide publique au développement (APD) du Royaume est toutefois soumise à condition : elle n’est accordée qu’aux Etats musulmans prêts à introduire l’islam fondamentaliste dans leur législation. C’est sur ces bases que s’organise le financement de la quasi-totalité des réseaux islamistes implantés au Proche-Orient, en Afrique et en Occident.
A la même époque, les dirigeants d’Israël, inquiets du développement du nationalisme arabe et du terrorisme palestinien porté par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP[19]) de Yasser Arafat, décident d’émuler la stratégie états-unienne d’instrumentalisation de l’Islam. Désireux de contrecarrer l’emprise de l’OLP sur les territoires occupés par l’Etat hébreux, ils favorisent l’émergence des mouvements islamistes palestiniens[20]. Nonobstant l’émergence de l’Iran chiite des Mollahs dans le Golfe, Tel Aviv est davantage préoccupé par la volonté de l’Irak de devenir une puissance nucléaire et par les mouvements arabes luttant pour l’indépendance de la Palestine et l’éradication d’Israël. Cette lecture va donner lieu, malgré l’embargo officiel des Etats-Unis contre l’Iran, à deux affaires de ventes secrètes d’armes à la République Islamique : l’une organisée par Israël pour un montant de 500 millions de dollars destinée à alimenter, grâce à l’achat de matériel militaire et de pièces détachées, le conflit Iran-Irak, affaiblissant ainsi les deux protagonistes[21] ; l’autre (qui deviendra un scandale sous le nom d’Irangate[22]) menée par le colonel Olivier North et Robert McFarlane, mandatés par l’administration Reagan pour obtenir la libération de 6 otages américains prisonniers de militants shiites pro-iraniens au Liban en 1982 et réunir des fonds permettant de financer les contras, un mouvement d’opposition aux sandinistes communistes du Nicaragua soutenus par Moscou[23]. A noter également l’implication, peu connue, de l’Arabie Saoudite dans le versement de millions de dollars d’aide aux contras sur un compte contrôlé par McFarlane et North et dont le dernier avait fourni le numéro d’identification aux Saoudiens.
Les Etats-Unis jouent les monarchies pétrolières et l’islam sunnite wahhabite contre le nationalisme arabe et l’Iran chiite
Concernant l’Arabie Saoudite, cette stratégie de soutien aux réseaux islamistes sunnites, aujourd’hui difficile à comprendre en raison de ses conséquences catastrophiques globales, se traduira par des mesures aussi surprenantes. Elle verra ainsi, dans les années 1980, le prince Turki Ibn-Fayçal qui est aussi le chef des services secrets saoudiens et appartient au clan très puissant des Sudaïri, mettre sur pied, avec Oussama Ben Laden, le fils de l’une des plus riches familles saoudiennes, la « Légion Islamique afghane », milice soutenue directement par la CIA et Riyad pour déloger les forces soviétiques installées en Afghanistan depuis 1979[24]. De façon plus générale, plusieurs institutions saoudiennes assureront la distribution de l’aide publique aux réseaux fondamentalistes : la Ligue Islamique Mondiale (ONG aux buts missionnaires, créée en 1962), l’Organisation de la Conférence Islamique (créée en 1970), et surtout, les holdings et banques saoudiennes (Fayçal Islamic Bank, Dar el-Mal, Dellah el-Baraka, etc.).
Mais ces sources quasi-officielles de financement connaitront un déclin au début des années 1990 pour deux raisons : la chute du mur de Berlin suivie de l’effacement de l’Union Soviétique et de la menace rouge dans la région ; puis la critique, peu appréciée des autorités saoudiennes, que l’établissement religieux wahhabite (représenté par le Cheikh Ibn-Baz) fait de leur soutien à l’intervention américaine dans le Golfe (1991) contre l’Irak de Saddam Hussein. Cet élément viendra perturber la stabilité de la monarchie saoudienne qui repose sur une alliance entre ce même établissement religieux wahhabite et la dynastie des Saoud. Comme l’explique Alexandre del Valle (1998), cette réalité va alors entraîner les deux parties à conclure un marché : l’établissement religieux consent à tolérer, de la part de la monarchie saoudienne, un rapprochement avec l’Occident à condition qu’il lui soit possible de continuer à financer les mouvements islamiques qui lui sont proches. Toutefois, pour éviter d’impliquer directement l’Arabie saoudite (mais également le Koweït) par l’intermédiaire d’une aide officielle, le financement de ces mouvements se fera alors à travers plusieurs relais : des sociétés écrans comme le Conseil de la Bienfaisance Islamique, Beit el-Zakat (Maison de la charité), l’Association de la Réforme islamique ; d’autres sources comme les princes qui dirigent le royaume ou l’aide privée en provenance d’hommes d’affaires saoudiens possédant des fortunes colossales : Youssef Djamil Abdelatif, financier saoudien actionnaire de Sony, qui offre un million de dollars au trésorier du FIS algérien (Djamil Abdelatif) ; Oussama Ben Laden, dont la fortune est estimée à quelques 300 millions de dollars (1998)[25]. Cet inventaire ne serait toutefois pas complet si l’on omettait de mentionner d’autres sources de financement telles que l’Islamic Heritage Society et son pays d’origine, le Koweït, ou encore le Qatar, formellement identifiés comme des soutiens actifs d’Al Qaida mais aussi de sa franchise, Jabhat al-Nusra qui opère en Syrie[26] ; le riche émirat gazier du Qatar aurait financé, en sus, les groupes islamistes qui sévissent dans le Nord-Mali, mais aussi les mouvements Ansar Eddine, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) et le mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao)[27].
La « stratégie de la ceinture verte[28] », digne héritière de la Realpolitik des chancelleries européennes (diplomatie confessionnelle du Royaume-Uni dans son ancien empire) dont l’Amérique, volontiers moralisatrice dans ses déclarations publiques, voulait se distinguer, a eu des conséquences pour le moins catastrophiques.
Très tôt, intérêts économiques et diplomatico-stratégiques en formeront l’ossature : en 1963, la compagnie pétrolière américaine Aramco verse des fonds à l’organisation Rabit ul-alem el-islami, reproduisant une stratégie qu’elle avait déjà utilisée dans l’Arabie Saoudite des années 30, appuyée sur le fondamentalisme islamique, les tribus et le pétrole[29]. Les Talibans, et leur allié saoudien Oussama Ben Laden, sont un élément important de ce dispositif en Afghanistan. De fait, si, pendant la guerre contre les Russes, les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite soutiennent toutes les factions de la résistance en s’appuyant sur le Pakistan voisin, lorsque, pendant la guerre du Golfe (1991), les principales factions afghanes prennent parti pour Saddam Hussein, le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis reportent leur soutien sur les Talibans. Le Pakistan voit, dans cette aide, la possibilité de gagner une « profondeur stratégique » face à l’Inde tout en soutenant des alliés dont les idées religieuses sont proches des siennes[30] ; les Saoudiens, tout comme les Américains voient dans les Talibans la possibilité d’endiguer toute avancée chiite dans la région et enfin, « les Taliban garantissent aux compagnies pétrolières américaines et saoudiennes un accès direct aux nouveaux États d’Asie centrale, riches en hydrocarbures et prometteurs d’importants marchés[31]. » Mais les alliés de la veille sont en passe de devenir les ennemis de demain. Identifiés par l’Amérique de Georges W. Bush comme les complices des attentats perpétrés le 11 septembre 2001 par l’organisation terroriste Al-Qaïda, les Talibans devront quitter, la même année, le pouvoir qu’ils avaient réussi à conquérir en 1996. L’intervention américaine en Afghanistan légitimée par « la guerre contre le terrorisme » et appuyées par les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se donne pour objectif d’éradiquer Al-Qaïda et son chef Oussama Ben Laden, de combattre les Talibans et les factions rebelles, tout en aidant à la reconstruction du pays. On connaît la suite. Quinze ans plus tard, malgré les milliards de dollars dépensés et les milliers de soldats tués, les Etats-Unis et les forces occidentales quittent l’Afghanistan, n’ayant atteint aucun des objectifs de démocratie et de stabilité qu’ils s’étaient fixés, et « les talibans menacent le fragile pouvoir installé à Kaboul[32] ».
Hors d’Afghanistan, « la stratégie de la ceinture verte » n’a pas eu davantage de succès. Echappant à ses créateurs, financée par l’Arabie Saoudite, le Koweït et le Qatar jamais inquiétés par des Etats occidentaux alliés (soucieux d’attirer et de retenir leurs investissements tout en signant avec eux de grands contrats), elle a permis à des groupes fondamentalistes sunnites comme l’Etat Islamique (Daech), Al-Qaida, et leurs franchises (Jabhat al-Nusra), etc., d’occuper les vides issus de la décomposition des Etats au Moyen-Orient[33], mais également ceux de régimes politiques arabes d’Afrique du Nord qui ont manqué leur révolution (Tunisie, Libye, Egypte) ou des pays d’Afrique en déshérence. Peu reconnaissants envers leurs anciens protecteurs et financiers, certains de ces groupes salafistes n’ont pas hésité à se retourner contre eux (entre 2003 et 2006 Al-Qaida lance une campagne d’attentats meurtriers en Arabie Saoudite) et à mener, contre les non-musulmans et les musulmans chiites, une guerre à outrance dont les populations des pays impactés sont les premières victimes.
[1] Sur les définitions et utilisations du terme dans l’histoire, cf. Bruno Étienne, « L’islamisme comme idéologie et comme force politique », Cités 2003/2 (n° 14), pp. 45 à 55.
[2] Le « Roll back » (Refoulement) inspiré par la « Stratégie de Libération » de James Burnham (cf. l’article n°7 de ce blog intitulé : « Conservatisme versus libertarianisme aux Etats-Unis ») et qui devait, dans l’esprit des conservateurs, se substituer au « Containment » (Endiguement) de George F. Kennan.
[3] « Le Moyen-Orient appartient géographiquement à l’Asie. Il est limité à l’Est par le monde indien (Pakistan, Inde,…), à l’Ouest par la mer Méditerranée et au Nord par le Caucase et la mer Caspienne. On lui rattache habituellement l’île de Chypre, la partie européenne de la Turquie et l’Égypte (bien que celle-ci soit située en Afrique, Sinaï excepté). La façade méditerranéenne du Moyen-Orient (Syrie, Liban, Israël et Palestine, Chypre) est souvent qualifiée de Proche-Orient (parce qu’elle est proche de l’Europe !). Les principaux peuples du Moyen-Orient sont les Iraniens (autrefois appelés Perses) et leurs cousins kurdes (Iraniens et Kurdes sont de souche indo-européenne), les Turcs, les Arabes et les Israéliens », in Le dictionnaire de l’Histoire , https://www.herodote.net/Moyen_orient-mot-121.php .
[4] Cet article est extrait du chapitre intitulé « La Stratégie de la Ceinture verte : une stratégie du K.O. (chaos), in Le Management Responsable : approche critique et transculturelle, Ellipses, coll. Gestion, 2017, pp. 83-89.
[5] Selon Alain Joxe, en 1990, deux mondes dominent encore : « un monde libre », et un « monde communiste » ; puis en 1991 : la bipolarité nucléaire et idéologique disparaît et apparaît alors la vision d’un monde pacifique où l’ordre est conforme à la Charte de l’ONU ; 10 ans plus tard, l’ONU est sommé de se plier à volonté des EU sur la question irakienne. Les Etats-Unis conservateurs de l’administration Bush (GW) tentent d’imposer « un monde à l’image que certains intérêts s’en font, un monde unifié par un principe de « désordre », modéré par le simple jeu des rapports de force. Ce désordre a une morphologie dynamique : un noyau surdéveloppé, zones parsemées de groupes de démocraties et/ou de zones de libre marchés ; plus loin : en tâches et séparées, des zones de crise avec violences barbares (poubelles sociales, violences barbares) ; au-dessus : un système de surveillance comprenant satellites d’observation, administrations qui interprètent les observations, bases de données ; un peu partout : un système de répression : bases et stocks de moyens fixes ou mobiles, coordonnés pour maintenir une logistique d’intervention militaire globale ; enfin : un systèmes d’alliances et des systèmes de commandements euro-américains sous commandement américain. Pour Joxe, ce « chaos structuré » est un « modèle fractal ». Ce « zonage » apparaît en effet à toutes les échelles ; macro : continents, régions, nations, provinces ; micro : villes, quartiers, familles, voire individus en crise sombrant dans une folie destructrice. Joxe parle donc, pour désigner les EU d’ « Empire du Chaos » in Alain Joxe, L’empire du chaos : les Républiques face à la domination américaine dans l’après-guerre froide, La Découverte, 2002, p. 17-18.
[6] Olivier Roy, « Retour illusoire aux origines : l’Islam au pied de la lettre », Le Monde Diplomatique, Avril 2002, p. 3.
[7] Le terme fait référence à ceux qui suivent l’islam des salafs, c’est-à-dire des compagnons du prophète.
[8] Olivier Roy, op. cit.
[9] Comme l’explique Olivier Roy, « Le wahhabisme saoudien fondé par Abdel Wahhab (1703-1791) pousse très loin le scripturalisme et le refus de tout compromis avec tout ce qui n’est pas le strict islam (au point d’avoir détruit la tombe du Prophète lui-même afin qu’elle ne fasse pas l’objet d’un culte) : il s’est construit contre les autres écoles de l’islam et non contre l’Occident, avec qui il s’est allié sous l’impulsion de la famille des Saoud. Mais il reste obsédé par toute influence culturelle ou religieuse occidentale, d’où des tensions du fait de la présence de troupes américaines. […]. Le néofondamentalisme [qui en est issu] veut imposer la seule charia comme norme de tous les comportements humains et sociaux. Il refuse donc très logiquement toute référence à une culture qui se développerait à côté ou au-delà de ce qui est strictement religieux : les arts plastiques, la musique, la philosophie, la littérature, les coutumes nationales, sans parler des emprunts aux autres cultures (fêter la nouvelle année, faire un arbre de Noël) ; il n’entretient par ailleurs qu’une relation instrumentale avec les sciences (oui à l’ordinateur, non à la rationalité scientifique) […]. Cette version de l’islam est très violemment opposée au christianisme et au judaïsme (et accessoirement au chiisme). […] L’obsession de cette tendance néofondamentaliste est de tracer la ligne rouge entre la vraie religion (din) et l’impiété (kufr), ligne qui passe à l’intérieur même de la communauté musulmane. Elle dénonce donc tous les compromis religieux mais aussi culturels passés avec la culture globale dominante, qui est aujourd’hui celle de l’Occident. Tout se ramène à un code du licite et de l’illicite, y compris dans des détails triviaux comme la manière de se tailler la barbe (les talibans afghans) ou de se brosser les dents. La fatwa (déterminer le caractère licite des actes de tout un chacun, de l’utilisation de la carte bancaire au don d’organe) devient l’activité principale des oulémas ou des prédicateurs autoproclamés », Ibid.
[10] Fethi Gharbi expose avec clarté des éléments importants d’un contexte historique géopolitique qui, dès la fin du 18ème siècle, voit les arabes répondre à l’expansion européenne en empruntant deux voies opposés : « un projet de rénovation de l’Egypte », mis en œuvre par Mohammed Ali, « considéré par les historiens comme l’amorce de la renaissance arable (Nahda ») ; l’expansion du courant salafiste, le wahhabisme, en Arabie. Gharbi ajoute : « Mohammed Ali et son fils Ibrahim Pacha adhéraient pleinement à un projet de nation arabe qui rassemblerait tous les Arabes de l’Egypte à la Mésopotamie. Ils œuvrèrent à l’émergence d’une renaissance intellectuelle, sociale et culturelle sans précédent et aidèrent au développement de l’agriculture et de l’industrie. Mohammed Ali s’appuya sur une jeune génération d’oulémas réformistes de l’envergure du cheikh Rifa’a al-Tahtawi. Ces oulémas ne voyaient pas de contradiction entre l’islam et la modernité et soutenaient la plupart des réformes. A la fin du XIXème siècle le mouvement nationaliste arabe touche la Grande Syrie. Mais c’est en réaction à la domination turque que le nationalisme arabe culturel et moderniste se transformera, dès 1880, en un mouvement radicalisé et nationaliste qui, du Maghreb au Machrek, suite à la répression ottomane de 1908, revendiquera un gouvernement non confessionnel sur l’ensemble des territoires arabes ». , in Fethi Gharbi « Islamisme et Empire : un flirt qui perdure… », agoravox.fr, jeudi 16 février 2012, http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/l-islamisme-et-l-empire-un-flirt-110394 .
[11] Cf. Marie Mandras, « La logique de l’URSS au Moyen-Orient », Politique étrangère, Volume 48, Numéro 1, pp. 133-148.
[12] « 14 février 1945 : Le « pacte du Quincy », une alliance contre nature », herodote.net, publié ou mis à jour le : 2016-07-20 09:40:40, https://www.herodote.net/14_fevrier_1945-evenement-19450213.php .
[13] Cité par Ian Hamel, « Quand la CIA finançait les Frères musulmans : Les services secrets américains ont longtemps soutenu la confrérie, née en 1928 en Égypte. », Le Point.fr, 06/12/2011.
Selon le journaliste américain Ian Johnson, lauréat du prix Pulitzer, dans son ouvrage Une mosquée à Munich. Les nazis, la CIA et la montée des Frères musulmans en Occident, Paris : JC Lattès, 2011, on découvre que les Allemands, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont utilisé les Tchétchènes, les Kazakhs, les Ouzbeks et les musulmans vivant en URSS contre les communistes athées. Les Américains ont ensuite pris le relais, soutenant les islamistes contre le bloc communiste et ses satellites. En juillet 1953, une délégation de musulmans est invitée aux États-Unis, et reçue à la Maison-Blanche, parmi eux Saïd Ramadan.
[14] Cf. Fethi Gharbi.
[15] Sunnites v. chiites : « Ali, époux de Fatima, l’une des filles du prophète Mahomet, est à l’origine des deux principales scissions qui ont affecté la communauté musulmane (le kharidjisme et le chiisme). En 656 après JC, il succède à Othman, le troisième calife (ou remplaçant du prophète Mahomet). Le nouveau calife et ses partisans (en arabe, chiites ou chi’ites) prônent une grande rigueur dans la mise en pratique de l’islam et l’assimilation des populations conquises. Ils recommandent aussi que le califat revienne aux descendants en ligne directe du prophète. Ils s’opposent sur ces points aux orthodoxes ou sunnites, adeptes d’une application souple de la doctrine musulmane (la sunna). » in « Le dictionnaire de l’Histoire : 661 à nos jours Les musulmans chiites et l’origine du chiisme », herodote.net, http://www.herodote.net/661_a_nos_jours-synthese-8.php .
[16] Marie Mandras, op. cit., p. 138.
[17] Alexandre Del Valle, « Genèse et actualité de la ‘stratégie’ pro-islamiste des Etats-Unis », Stratégique n°70/71, 1998, pp. 31-68.
[18] « Ahmed ibn Hanbal est un théologien musulman mort en 855 qui préconisait le retour à l’islam des origines, exclusivement fondé sur le Coran et les hadith, les traditions enseignées par les compagnons du Prophète et leurs successeurs immédiats (en arabe, salaf, « ancêtres »). Le salafisme hérité de Hanbal proscrit donc toutes les innovations postérieures. Il condamne bien évidemment l’alcool, le luxe, la gaudriole… mais aussi le recours à l’intercession des saints et marabouts et tout ce qui s’apparente à une glorification de l’homme, y compris l’expression artistique et les monuments patrimoniaux, y compris religieux. Il dénie aux chiites la qualité de musulman. », in « Le dictionnaire de l’Histoire : hanbalisme, wahhabisme, salafisme », herodote.net, http://www.herodote.net/hanbalisme_wahhabisme_salafisme-mot-527.php .
[19] Fatah et OLP : Fondé en 1959 au Koweït par Yasser Arafat, le Fatah (acronyme en arabe de « Mouvement de libération nationale »), avec le Front Populaire de Libération de la Palestine – FPLP et le Front Démocratique pour la Libération de la Palestine – FDLP) se trouvent ensuite réunis dans une organisation plus large, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Créée le 28 mai 1964 à Jérusalem, sous l’égide de Nasser, l’OLP doit permettre au président égyptien de contrôler la cause palestinienne. Succédant à Ahmed Choukairy, puis Yahya Hammouda, Yasser Arafat s’impose à la présidence de l’OLP en février 1969 lors du Conseil national palestinien. Cependant le FPLP (Front Populaire de libération de la Palestine), autre composante du mouvement palestinien, fondé par Georges Habache ne reconnaît pas Arafat comme responsable de l’organisation et renonce à sa participation. Le Fatah a pour doctrine l’indépendance de la Palestine (alors que le contexte était, lors de sa création, celui de l’union arabe dans laquelle la Palestine serait intégrée), la lutte contre l’Etat hébreu et l’indépendance par rapport aux Etats arabes. Le Fatah propose la création d’un État palestinien « laïque et démocratique » au sein duquel chrétiens, juifs et musulmans jouiraient de droits égaux. Le Fatah a pour inspiration le FLN algérien, qui lui apporte son aide, et est composé de Palestiniens vivant dans les Etats du Golfe », Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Les clés du Moyen-Orient, 09/03/2010, http://www.lesclesdumoyenorient.com/Fatah.html .
[20] Alexandre Del Valle, « Genèse et actualité de la ‘stratégie’ pro-islamiste des Etats-Unis », Stratégique n°70/71, 1998.
[21] Cf. Seymour M. Hersh, “The iran Pipeline: A Hidden Chapter/A special Report.; U.S. Said to Have Allowed Israel to Sell Arms to Iran”, The New York Times, Dec. 8, 1991.
[22] George Lardner Jr., “McFarlane is fined $20, 000 for role in Iran-Contra Affair”, Washington Post, March 4, 1989.
[23] L’Irangate : Une affaire particulièrement complexe menée, dans l’esprit d’une « stratégie globale de « refoulement » de l’URSS, par Robert C. McFarlane (National Security Adviser to the President entre 1983 et 1985) et le colonel Oliver L. North (son assistant). Ces derniers avaient été mandatés en 1985 par l’administration Reagan pour organiser la vente illégale d’armes à l’Iran (déjà engagée entre les années 1981 et 1982) et obtenir ainsi, tout d’abord, la libération de 6 otages américains prisonniers de militants shiites pro-iraniens au Liban, puis, lever ensuite, en partie grâce à cette vente, des fonds destinés à apporter une aide financière (interdite par le Congrès depuis 1982) aux Contras, engagés dans une guérilla contre le gouvernement Sandiniste communiste du Nicaragua soutenu par Moscou. Lors de la condamnation de McFarlane en 1989, pour avoir dissimulé au Congrès l’implication de l’administration Reagan dans cette affaire, l’accusé reconnut également l’implication de l’Arabie Saoudite dans le versement de millions de dollars d’aide aux contras sur un compte contrôlé par eux et dont il avait fourni le numéro d’identification aux Saoudiens. Cf. pour de plus amples détails, l’article de Seymour M. Hersh du New York Times et celui de George Lardner du Washington Post, op. cit.
[24] Alexandre Del Valle, op. cit.
[25] Ibid.
[26] Owen Jones, « To really combat terror, end support for Saudi Arabia », The Guardian, 31 august 2014.
[27] Benjamin Roger, « Nord-Mali : le Qatar accusé de financer les groupes islamistes de l’Azawad », Jeune Afrique, 6 juin 2012.
[28] Le vert est la couleur de l’islam. « Il est censé être la couleur préférée du prophète Mahomet ». Notamment, parce que « Le prophète de l’Islam aurait porté un manteau et un turban verts, et ses écrits sont remplis de références à cette couleur. Un passage du Coran décrit le paradis comme un endroit où les gens «porteront des vêtements verts en soie fine». Un hadith, ou enseignement, dit: «Lorsque l’Apôtre d’Allah parvint au crépuscule de sa vie, il était couvert de l’Hibra Burd», morceau de tissu vert. Ainsi retrouve-t-on le vert dans la reliure du Coran, sur les dômes des mosquées et, aussi, dans les campagnes politiques », in Christopher Beam, « Pourquoi le vert est la couleur de l’Islam? », Slate France, 12 juin 2009, http://www.slate.fr/story/6491/pourquoi-le-vert-est-il-si-important-dans-le-monde-musulman .
[29] Firouzeh Nahavandi, « L’instrumentalisation de la religion dans les pays musulmans « convertis », Civilisations : Revue Internationale d’anthropologie et de Sciences humaines, n°48, 2001.
[30] Ibid.
[31] Ibid.
[32] Camelia Entekhabifard, « L’Afghanistan ne croit pas à la paix », Le Monde Diplomatique, décembre 2014.
[33] Cf. Peter Harling, « De l’Egypte à l’Irak, le chaos s’installe là où les Etats se retirent », Le Monde Diplomatique, Septembre 2014, pp. 1, 6, 7.