« Association de malfaiteurs[1] » : c’est le titre d’un film de 1987 réalisé par le cinéaste Claude Zidi ; un film qui, depuis cette époque et jusqu’à aujourd’hui, aurait dû être projeté lors des séminaires d’intégration des nouvelles promotions des grandes écoles de commerce à des fins de réflexion et de débat. Un film prémonitoire à plusieurs titres : illustrant la culture de la cupidité (« Greed is all-right, greed is healthy [2]») mise à l’honneur dans l’économie tirée par la finance des années 1980, il met également en lumière la façon dont s’évalue la réussite de quatre anciens « mousquetaires » d’une promotion d’HEC ; par le chiffre d’affaires des sociétés créées par deux d’entre eux, dont l’un (joué par François Cluzet) fait fortune dans les nouvelles technologies de l’image et prend, au début du film, un malin plaisir à ridiculiser la maréchaussée en se faisant enregistrer sur autoroute à 307km/h au volant de sa Ferrari (rouge comme il se doit), un baladeur (walkman) vissé sur les oreilles.
Rien ne manque dans ce film : ni le personnage du « requin de la finance », concurrent des « mousquetaires », dont les affaires sont associées au financement occulte d’un réseau de clients et de partenaires politiques illustré par la circulation de valises et de sacs de sport remplis de billets de banque ; ni l’existence du « loser », le quatrième mousquetaire, éternel perdant et dont les schèmes toujours bancals de réussite en font la proie d’une plaisanterie irresponsable de ses « copains » de promo avec des conséquences imprévues qui se retourneront contre eux. Tout, ou presque tout, est déjà dit dans les premières scènes du film : aux gagnants, jeunes, riches, la « réussite » pour deux d’entre eux, assise sur l’audace, l’esbroufe, et la capacité à prendre des risques (sur la route, dans les affaires) quitte, lorsqu’il le faut, à sortir des chemins balisés. Pour un troisième, plus discret, cadre supérieur dans l’une des grandes banques de la place de Paris, une réussite professionnelle en partie redevable à un profil moins haut en couleurs dont la neutralité rassurante laisse augurer un parcours à venir dans les hautes sphères de la prise de décision économique.
Pour les spectateurs qui prendront le temps de voir ce film prémonitoire jusqu’au bout, ceux-ci découvriront le rôle néanmoins majeur de ce « mousquetaire banquier » dans le dénouement du film, que ne laisse absolument pas augurer ses rares apparitions sur la pellicule. A l’origine du vol, inaperçu en début de film, d’une mallette pleine de billets dérobée au requin de la finance, celui dont le rôle dans les mésaventures de ses amis n’a jamais été soupçonné par eux, aura cette phrase mémorable : « Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je ne comprends pas. Quand j’ai vu tout cet argent, je n’ai pas pu résister. C’était comme un réflexe professionnel. » Le réalisateur anticipe alors, sans le savoir, ce que donnera, à grande échelle, cette « culture de la cupidité » implicitement véhiculée dans les grandes écoles de business, assise sur la réussite du « pas vu-pas pris » tirée par l’appât du gain[3]. Deux décennies après la sortie du film, les banquiers des établissements occidentaux les plus influents mettront en faillite le système économique mondial, dans l’une des plus graves crises financières du capitalisme moderne, la crise des crédits subprime[4].
Comme il est possible de le remarquer en lisant ces lignes, le ton employé par l’auteur dans les paragraphes précédents et dans les articles du blog, n’est pas celui auquel s’attendent les lecteurs d’un site consacré à l’analyse et à la formation.
Ce ton évoque en effet davantage celui de « l’essai » et de « l’analyse personnelle » que le « ton mesuré, distancié » habituellement utilisé dans des travaux de recherche. Pour autant, dès lors que l’auteur illustre, sur différents thèmes, ce qu’il est possible de faire dans le domaine de la pensée critique appliquée, il n’est plus dans le registre d’une « complète partialité ». Il se situe dans celui de l’analyse fondée sur une recherche thématique volontairement exhaustive, globale mais néanmoins précise, autorisant une interprétation située et systémique des faits où l’identification des Pouvoirs à l’œuvre derrière le Politique et l’Economique donne un sens aux blocages structurels de notre monde.
En utilisant ce ton, l’auteur a également voulu insister sur l’urgence de la situation. Nos sociétés n’ont plus vraiment le temps pour se décider à « changer de mode de vie » car cela fait presqu’un demi-siècle que des questions engageant aujourd’hui la survie de notre planète et de nos sociétés, malgré une exposition internationale et récurrente, font l’objet de traitements incomplets ou totalement inappropriés. Malgré leur gravité, ces questions ne semblent pas avoir provoqué chez nos « élites dirigeantes» de volonté, de courage ou d’intelligence politique, à la hauteur des enjeux.
En sa qualité de formateur cette réalité interpelle l’auteur. Particulièrement au niveau des grandes écoles (B. Schools, écoles d’Ingénieurs, Instituts d’Etudes Politiques, etc.) qui, dans le monde, doivent préparer leurs étudiants (futurs cadres supérieurs, chefs d’entreprise, dirigeants politiques ou hauts fonctionnaires) à prendre la mesure des changements à mettre en œuvre pour affronter les défis évoqués dans le blog.
L’auteur est donc
convaincu qu’il existe un lien étroit entre la « formation » (ou « la
déformation » ?) de nos dirigeants ou leaders d’opinion et cet état de
fait. Ce site internet, ainsi que la pédagogie proposée[5] (contenus et méthode), ont
été conçus pour tenter d’y apporter à leur échelle, une contribution à la
réinvention.
[1] Film de Claude Zidi (France, 1987). Scénario : Michel Fabre, Didier Kaminka, Simon Michaël et Claude Zidi. Image : Jean-Jacques Tarbès. Musique : Francis Lai. 110 mn. Avec, dans les principaux rôles : François Cluzet : Thierry Deroc de Plebelecq (1er mousquetaire) ; Christophe Malavoy : Gérard Gallois (2ème mousquetaire) ; Gérard Lecaillon : Francis Carlier («banquier mousquetaire ») ; Jean-Claude Leguay : Daniel Boutineau (« loser mousquetaire ») ; Jean-Pierre Bisson : Bernard Hassler (le « requin de la finance »), concurrent des « Mousquetaires » depuis HEC.
[2] La phrase (cf. infra) fut prononcée en 1985 par le trader Ivan Boesky devant un parterre d’étudiants de la Haas School of Business de l’université de Californie à Berkeley qui lui firent une ovation; quelques mois plus tard il était en prison, accusé par la SEC de délit d’initié : “Greed is all right by the way […]. I want you to know that I think greed is healthy. You can be greedy and still feel good about yourself”, cite in James B. Stewart, Den of Thieves, New York, Simon and Schuster, 1991, p. 261.
[3] En juillet 2009, réfléchissant aux incidences, sur la crise des crédits subprime, de la formation universitaire reçue par ses principaux protagonistes, Soshana Zuboff, professeure depuis 25 ans, à la Harvard Business School (dont 15 ans passés dans le programme MBA) écrivait : “I have come to believe that much of what my colleagues and I taught has caused real suffering, suppressed wealth creation, destabilized the world economy, and accelerated the demise of the 20th century capitalism in which the U.S played the leading role. We weren’t stupid and we weren’t evil. Nevertheless we managed to produce a generation of managers and business professionals that is deeply mistrusted and despised by a majority of people in our society and around the world. This is a terrible failure”, Soshana Zuboff, « The old solutions have become the new problems », Business Week, Viewpoint, July 2, 2009.
[4] Cf. dans notre ouvrage, le chapitre intitulé « Reîtres et Sicaires Conceptuels de la Globalisation ».
[5] Création, en 2013-2014, par Bernard Sionneau, d’un séminaire de recherche appliquée intitulé « Mise en Œuvre d’une Pensée Critique en Economie et Management » dans le Programme Grande Ecole (PGE) de KEDGDE Business School. Ce séminaire, qui faisait partie des nouveaux cours obligatoires, a été dispensé aux étudiants de L3 PGE et des Admissions Parallèles en M1 et M2 PGE des campus KEDGE de Bordeaux et Marseille. Un document consacré au feedback des équipes d’étudiants a été posté dans la partie « formation » du blog « World Issues and Services ».