Agriculture Industrie et Mafias – Une combinaison d’activités et d’intérêts mortifères pour les sols et sous-sols

Le développement de l’agriculture dans les pays riches s’est souvent accompagné d’un remembrement des territoires, destiné à permettre l’exploitation des terres sur de plus grandes surfaces en utilisant de nouvelles techniques et outils. L’arrachage de haies associé au remembrement a eu des effets induits très négatifs sur les écosystèmes et la biodiversité : destruction des habitats de nombreuses espèces, disparition d’insectes polinisateurs ou de prédateurs de rongeurs, disparition des coupe-vent formés par les haies et, avec elles, celle d’un microclimat protégeant culture et troupeaux du soleil ou des intempéries, tout en contenant le ruissellement des eaux. L’ensemble, auquel est venu s’ajouter le bétonnage intensif de sols en zones humides pour accueillir des projets immobiliers, favorise aujourd’hui la diminution des eaux infiltrées et l’épuisement des ressources en eaux souterraines, tout en accentuant l’érosion et l’appauvrissement des sols, ainsi que la survenance d’inondations. Dans le même temps, encourageant ses agents à développer la productivité et leur compétitivité dans les pays les plus riches, l’agriculture a eu recours à l’utilisation massive d’engrais contenant phosphates et nitrates, mais aussi pesticides (herbicides, fongicides, insecticides, bactéricides), et, pour ses élevages extensifs, à l’épandage de millions de tonnes de déchets (fumiers et lisiers) issus des élevages hors-sol. Le développement de jardins publics ou privatifs en milieu urbain et péri-urbain utilisant sans modération nombre de substances chimiques utilisées par l’agriculture,  n’a fait qu’amplifier le risque de destruction massive de la biodiversité, la pollution des écosystèmes terrestres par l’infiltration dans les sols mais aussi la mise en danger de la santé des populations par la contamination des chaînes alimentaires et la pollution de l’air.

Le bilan de cette pollution des sols et sous-sols ne serait pas complet, toutefois, sans la prise en compte des activités industrielles. Le rejet dans les sols, de substances polluantes comme le mercure, le cadmium, l’arsenic, le cuivre, le cyanure, le chlore, redevable à la chimie lourde, la pétrochimie, la sidérurgie, la chimie pharmaceutique, les usines d’incinération, etc. contribue à l’empoisonnement du milieu naturel et des chaînes alimentaires dont dépendent espèces animales et végétales mais également l’espèce humaine. A ces problèmes d’exploitation de sites actifs qui, dans les pays les plus riches font l’objet d’une surveillance et de normes plus strictes qu’auparavant, s’en rajoutent d’autres : l’abandon de sites industriels transformés en friches et l’exportation sauvage de déchets toxiques dans les pays en développement. Dans le premier cas, deux siècles d’enfouissement incontrôlé de déchets industriels contenant souvent des produits très toxiques, puis des règles de sécurité qui changent en fonction des époques, rappellent aux pays qui ont porté les grandes révolutions industrielles qu’ils ont assis leur développement économique sur de véritables poudrières écologiques. Le phénomène représente, pour certains observateurs, un risque majeur de santé publique auquel sont quotidiennement exposés plus de 200 millions de personnes dans le monde[1]. Sites abandonnés ou revendus sans décontamination[2], containers corrodés par les produits chimiques qui laissent fuir leurs rejets et contaminent l’air, les sols, les nappes phréatiques et les cours d’eau. La multiplication de ces friches industrielles non décontaminées, transformées dans les villes ou les campagnes en espaces verts ou de loisirs, en terrains constructibles, suscite de nombreuses inquiétudes quant à leurs effets sur les écosystèmes et la santé[3]. Pour les pays qui en ont les moyens et la volonté politique, des résultats encourageants sont enregistrés sur le terrain de la décontamination et leurs coûts se révèlent bien inférieurs à ceux qui doivent être mobilisée pour lutter, par exemple, contre le réchauffement climatique[4].  Pour les pays concernés d’Afrique (Nigeria, Côte d’Ivoire) et d’Asie (Inde, Pakistan, Bangladesh), le problème ne se pose pas de la même façon. A la recherche de la moindre source de devises, souvent gérés par des élites corrompues et dépourvus de contre-pouvoirs, ils sont devenus les poubelles industrielles des pays riches qui n’hésitent pas à alimenter ce commerce illicite[5], accueillant, soit des déchets électroniques et chimiques contenant divers éléments toxiques comme l’arsenic, le sélénium, le cadmium, le chrome, le cobalt ou le mercure, ou de vieux navires à démanteler bourrés d’amiante avec des conséquences dramatiques pour les milieux naturels et les populations[6].

Pour clore cette présentation rapide des atteintes graves perpétrées à l’encontre des sols et sous-sols de notre planète, il convient d’évoquer les conséquences écologiques des activités illicites menées à l’échelle industrielle par de puissantes organisations du crime.

La production de drogues et la gestion des déchets comptent parmi les causes principales de pollution criminelle des sols et sous-sols.

Si l’on prend la fabrication de cocaïne, la culture de plants de coca est responsable de déforestations massives au Pérou, en Colombie et en Bolivie qui a pour effet une réduction de la biodiversité. De façon plus précise, dans les Andes et plus particulièrement en Colombie, la transformation de feuilles de coca en cocaïne dans des laboratoires installés dans la forêt vierge, se traduit, depuis plusieurs décennies, par le déversement annuel dans la nature de « 16 millions de litres d’éther éthylique, de 8 millions de litres d’acétone, et entre 40 et 770 millions de litres de kérosène[7] » avec des conséquences désastreuses pour la faune, la flore, les cours d’eau, sols et sous-sols des espaces concernés. Quant à la fabrication d’héroïne, localisée principalement au Myanmar (Birmanie), sa transformation à partir de la morphine issue des plants de pavot, se traduit par un processus de déforestation à grande échelle qui représente, pour cette culture et pour la seule Birmanie près de 57 000 hectares en 2014[8]. Les conséquences écologiques de cette exploitation sont catastrophiques : outre la combustion des déchets organiques et les pesticides utilisés, on constate la contamination, l’épuisement et l’érosion des sols, la survenance de glissements de terrain, d’inondations et l’expansion de de terres impropres à l’exploitation agricole – phénomènes qui entraînent ensuite la migration de populations vers d’autres destinations non exploitées et la propagation des effets polluants vers les pays riverains.

 Concernant l’enfouissement illégal de déchets particulièrement toxiques, un déplacement vers l’Europe, et plus particulièrement la péninsule italienne, permet d’illustrer l’ampleur du problème et de ses conséquences. Le cas de la ville de Naples et de la Campanie, sa région de rattachement administratif, est particulièrement préoccupant. Il faut revenir aux années 1980 pour en comprendre les raisons. A cette époque, l’Italie se dote d’une législation obligeant les industries à éliminer leurs déchets à leurs frais. Sur le marché de la gestion de ce type de déchets bien particuliers, Camorra, organisation criminelle qui domine la région de Naples, fait savoir qu’elle propose des prestations moitié moins chères que celles des entreprises spécialisées[9]. Grâce à la corruption locale entretenue par un réseau de complicités politiques et administratives, Camorra devient un acteur prépondérant de la gestion des déchets toxiques. Le résultat se traduit par un bilan environnemental particulièrement lourd : depuis 22 ans, près de 10 millions de déchets toxiques (amiante, benzopyrène, chlorure de vinyle, arsenic et autres métaux lourds) ont été enterrés ou brûlés sur ce qui a été appelé « la terre des feux[10] », contaminant environ 15% des sols de Campanie ainsi que les nappes aquifères avec des effets redoutables sur la santé de la faune sauvage, des cheptels et des hommes. Les spécialistes italiens ont ainsi observé, sur la période 2002-2008, une augmentation de 47% des maladies cancéreuses chez les hommes et de 40% chez les femmes dans la région de Naples[11]. Depuis le 20 décembre 2015, un rapport commandé par le Parlement Italien à l’Institut Supérieur de Santé (ISS) a d’ailleurs officiellement attesté qu’il existait bien une relation de cause à effet entre la pollution due à la combustion des déchets toxiques et le nombre élevé de décès ou de maladies graves dans la région de Naples particulièrement chez les enfants et les nourrissons[12]. Dans la « Terre des feux », plusieurs records de pathologies graves ont ainsi été battus par rapport à la moyenne nationale: records de stérilité masculine, d’avortements spontanés et de malformations à la naissance. Malgré un arsenal de lois plus efficaces votées en 2007 pour endiguer ce fléau, le phénomène perdure grâce à la corruption. Et il n’est pas rassurant de savoir qu’en Italie les grandes organisations du crime comme Camorra ou Cosa Nostra se sont déjà infiltré sur le marché des énergies alternatives et des opérations d’assainissement de terrains.

« L’économie de la prédation et de la déprédation », celle qui, depuis le 19ème siècle, encouragée par les décisions politiques de gouvernements des pays les plus industrialisées, a choisi de faire de la surexploitation du milieu naturel autour des énergies fossiles un modèle de développement universel, a clairement engagé le monde dans une impasse létale. Ignorée par la science économique dominante et les choix industriels de régimes politiques rivaux (pays communistes et pays capitalistes), cette impasse se rappelle à nous, non seulement à travers les bilans ci-dessus mentionnés, mais également à travers un constat : si en 1961, la planète Terre était encore excédentaire en termes de ressources naturelles renouvelables, à partir des années 1970, elle était devenue déficitaire. Et, depuis, la situation n’a cessé de se dégrader. Selon les estimations de l’ONG Global Footprint Network, il faudrait aujourd’hui une planète et demie pour répondre aux besoins de consommation et absorber la pollution de l’humanité ; et, en 2050, trois planètes seraient nécessaires[13].Dans le même temps, pour « contenir l’augmentation de la température moyenne bien en-deçà de 2°[14] et s’efforcer de la limiter à 1,5° » (objectif officiel de la COP 21[15]) et pour envoyer ainsi un signal politique fort privilégiant une transition énergétique « décarbonée »[16], il faudrait s’interdire d’extraire plus de 20 % des réserves aisément accessibles de pétrole, de gaz et de charbon[17].


[1] Walsh Bryan, « Focusing on industrial pollution », science.time.com, 2013/11/04, http://science.time.com/2013/11/04/urban-wastelands-the-worlds-10-most-polluted-places/ .

[2] Cf. sur le sujet, la catastrophe de Bhopal en 1984, la pire dans l’histoire industrielle mondiale, qui a fait des dizaines de milliers de victimes et continue aujourd’hui de faire sentir ses effets, très négatifs sur l’environnement et la population locale, après qu’un nuage de gaz toxique se fut échappé de l’usine de pesticides du groupe américain Union Carbide. Malgré les séquelles de ce désastre, la compagnie Dow Chemical, qui a racheté depuis l’usine estime que sa responsabilité n’est plus engagée depuis le versement de 470 millions de dollars d’indemnisation, ce que contestent les populations et ONG locales. Pour en savoir plus sur les causes et conséquences de cette catastrophe, cf. Bernard Sionneau, « Union Carbide and Bhopal » in “Globally Irresponsible Management: Three cases”, GRLI 2006, Updated 04/2016, https://worldissuesandservices.org/2018/12/01/globally-irresponsible-management-three-cases/ .

[3] Si l’on prend le cas de la France, ce ne sont pas seulement des entreprises privées qui sont concernées par ces pratiques d’enfouissement des déchets toxiques et de leur abandon sans précaution ; l’Etat est également pointé du doigt avec des pratiques laxistes de décontamination (amiante, radioactivité, arsenic, etc.), impliquant des installations civiles ou militaires associées à différents types d’activité, in Oultaf Sarah, “Pollution des sols, le scandale cache”, France 5, 20 janvier 2015.

[4] Voosen Paul, « Wasteland : No one talks much about toxic Superfund sites anymore. But 49 million Americans live close to one”, National Geographic, décember 2014, http://ngm.nationalgeographic.com/2014/12/superfund/voosen-text . cf. également, “New Report cites the world’s worst polluted places: top ten toxic threats in 2013: Cleanup, Progress and Ongoing Challenges”, http://www.blacksmithinstitute.org/blacksmith-institute-to-lead-global-inventory-of-polluted-sites.html

[5] Le Quotidien suisse Le Temps de Genève signale ainsi un accord de libre-échange entre les Philippines et le Japon, qui supprime tous les contrôles sanitaires des déchets aux Philippines, Hoda Saliby, “Afrique et Asie, poubelles à déchets des pays riches”, Courrier International, 30/11/2006.

[6]  Checola Laurent et Dumons Olivier, « Les pays émergent,s poubelles de l’Occident », Le Monde, 14.06.2007.

http://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2006/11/28/afrique-et-asie-poubelles-a-dechets-des-pays-riches

[7] Crowder Lindsay, “Illegal drugs and the environment”, Greeniacs.com, 09 July 2009, http://www.greeniacs.com/GreeniacsArticles/Green-Living/Illegal-Drugs-and-the-Environment.html .

[8] Larsen Niels, “The poppies and the damage done”, Frontier (Leading the way), 10 Aug. 2015, http://www.frontiermyanmar.net/the-poppies-and-the-damage-done/ .

[9] Le Nir Anne, « Les habitants de la Campanie se battent contre la pollution illégale », La Croix, 3/12/13.

http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Les-habitants-de-la-Campanie-se-battent-contre-la-pollution-illegale-2013-12-03-1070198 .

[10] Raffaele Del Giudice, de l’ONG Legambiente explique l’origine du terme. Des feux toxiques sont allumés par des petites mains de la façon suivante : « Des pneus servent de lit de combustion pour brûler des ordures mêlées à des panneaux d’Eternit, des frigos désossés, des déchets agricoles et industriels, des solvants et des rebuts de cuir en quantité considérable. » Car les environs de Naples fourmillent d’ateliers clandestins qui fabriquent des articles en cuir pour des griffes mondialement célèbres, ibid.

[11] Ibid.

[12] Ridet Philippe, « A Naples, des cancers dus aux déchets toxiques », Le Monde 05.01.2016.

[13] Van Eeckhout Laetitia,  « Ressources naturelles : l’humanité vit « à crédit » pour le reste de l’année », Le Monde.fr, 19.08.2014. http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2014/08/19/ressources-naturelles-l-humanite-vit-a-credit-pour-le-reste-de-l-annee_4473543_3244.html .

[14] Comme le souligne Philippe Descamps, « Au-delà, on ne peut écarter un emballement, avec une déglaciation rapide du Groenland, une modification de la circulation océanique profonde et un dégel du pergélisol dans les terres boréales, entraînant la libération massive de CO2 », « Comment éviter le chaos climatique : de la science à la politique », Le Monde Diplomatique, Novembre 2015, p. 13. Pour Éric Martin, « Deux degrés de plus » seraient « deux degrés de trop », car « on ne connaît pas avec précision le seuil à partir duquel le réchauffement climatique serait catastrophique : « Il se situe probablement entre 1 et 4° C et un tel processus, irréversible, conduirait à une élévation du niveau moyen des océans, de 7 mètres », Ibid., p. 15.

[15] « COP21 : l’accord destiné à limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C est adopté par les 195 pays », 12/12/2015, http://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/cop21/cop21-les-principales-annonces-de-laurent-fabius-sur-le-projet-d-accord-final_1218669.html

[16] « Finance et climat : assurer une transition ordonnée vers une économie décarbonée », Empreinte Terre, Novethic, 22 mai 2015, http://www.novethic.fr/empreinte-terre/climat/isr-rse/finance-et-climat-assurer-une-transition-ordonnee-vers-une-economie-decarbonee-143327.html

[17] Jean Jouzel, « Pourquoi un monde à plus de 2° C est dangereux », Alternatives Internationales, n° 17, Novembre 2015, pp. 6-9.

Publié par dr. Bernard Sionneau

World Issues Specialist and company owner Former Senior Professor of International Relations and Strategic Studies (Kedge Business School, Bordeaux Ecole de Management, Ecole Supérieure de Commerce de Bordeaux)

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