Bernard Sionneau [1]
2006
Introduction
Ce texte inédit, écrit en 2006, a été conçu dans le cadre d’un séminaire de recherche appliquée créé par l’auteur, entre 2004 et 2009, pour des étudiants de trois masters professionnels de Sciences Po Bordeaux réunis en une seule section[2] – étudiants dont la formation les préparait à rejoindre les métiers du « développement international » (au sens large du terme) et de « l’évaluation de ses risques » au sein d’entreprises, d’institutions multilatérales ou d’organisations non gouvernementales. Rédigé, pour permettre à ses participants et à des observateurs extérieurs d’en comprendre la problématique, il était le résultat de travaux de recherche et d’expérimentation/applications que l’enseignant avait réalisés au début des années 1990 pour le programme « Ecole Supérieure de Commerce » (« Sup de Co ») de l’ESC Bordeaux (devenue BeM – Bordeaux Ecole de Management, puis Kedge Business School)[3].
La présentation du séminaire dont il est ici question, faisait suite, dans le déroulement de la formation des Masters GEA, GRPS, CID de Sciences Po Bordeaux, à un séminaire antérieur de trois mois, au cours duquel les étudiants apprenaient, sous la direction de l’auteur et de celle de ses collègues Christian Malbat et Céline Thiriot (les responsables des Masters GEA et GRPS) à évaluer « le risque-pays ». Plusieurs exercices y préparaient les étudiants : tout d’abord, l’organisation et le management d’équipes de travail de 8 à 10 personnes, dont la constitution leur permettait de réaliser, grâce à un processus de gestion systématique de la connaissance, des « bases de données pays[4] » suffisamment exhaustives pour autoriser une évaluation approfondie; ensuite, l’application, elle-même, réalisée à partir d’outils utilisés et reconnus, dans le monde, par des professionnels issus de secteurs divers (banques, entreprises, organismes de rating, etc.[5]) ; également, une série de présentations en équipe des différentes étapes de l’évaluation, au cours desquelles les étudiants travaillaient la forme et le contenu de documents spécifiquement destinés à un auditoire professionnel ; un exposé final et oral des travaux réalisés lors de ce premier semestre de formation. Participaient à l’évaluation, outre l’enseignant qui animait le séminaire, les responsables des trois mastères (GEA, GRPS et CID) mais aussi les professionnels dont les organisations avaient commandité les travaux et des enseignants/chercheurs associés à Sciences Po Bordeaux, dont les interventions et l’expertise en langues, civilisations et connaissance des différentes aires culturelles concernées, apportaient une valeur ajoutée à la qualité des résultats produits par les étudiants (documents écrits de synthèse et présentations orales).
Suite aux exercices susmentionnés, consacrés, à l’origine, uniquement à l’évaluation du risque-pays, il m’était apparu indispensable de faire évoluer la formation, en accord avec les responsables des masters GEA et GRPS de Sciences Po Bordeaux[6]. L’enjeu était d’amener les étudiants à aborder un aspect plus complexe du « risque-pays » : il prendrait en compte non seulement l’impact, en termes de risques/opportunités d’un pays ou de contextes locaux sur des projets réels d’entreprises, d’ONG ou de financements et de coopération bi- ou multi- latéraux ; mais il tenterait également d’apprécier, de façon simultanée, l’impact « global » (politique, économique, social, environnemental, etc.) de ces projets sur les pays et sociétés concernées (risques/opportunités pour les pays) à l’échelle nationale et locale. L’exercice, conduirait alors les étudiants à tenter de concevoir des instruments de criblage (screening) et d’évaluation (rating) « à double détente », spécifiquement conçus dans cette optique, et taillés sur mesure en fonction de projets réels. L’intérêt, pour de futurs employeurs, à utiliser ce type d’outils, serait, le suivant : non seulement, ces outils, de par leur caractère « global » mais néanmoins très précis, permettrait à ces mêmes employeurs d’éviter d’engager leurs organisations dans des opérations dangereuses, pour les droits, la santé, l’environnement et la sécurité des personnes et sociétés impactées ; mais encore, et dans le même temps, ils contribueraient à faire de leurs organisations, des entités « responsables », un élément non négligeable d’une stratégie proactive de gestion du « risque d’image », tirée par les principes universels du « Pacte Mondial » (Global Compact[7]) de l’ONU et leur traduction en objectifs concrets de développement pour le millénaire (Millenium Development Goals[8]).
Trois types de projets étaient évalués dans le séminaire :
- Risques/Opportunités « projet IDE » (Entreprises, Banques , Fonds d’Investissement)
- Risques/Opportunités « projet développement durable » (ONG)
- Risques/Opportunités « coopération institutionnelle » (Agences officielles d’États, Institutions multilatérales)
Une problématique particulière :
- à la question habituellement posée : quels risques/opportunités sont associés, dans le temps (court, moyen long-terme) à notre projet (IDE, développement durable, coopération ou financements bi/multi- latéraux) ?
- se substituait une question moins habituelle : quels risques/opportunités la réalisation de notre projet suscite, non plus seulement pour le compte des intérêts que nous représentons, mais également pour le développement d’un pays[9] – un développement qui, dans la durée, sera respectueux de tous (sans aucune discrimination de genre, de culture ou de religion) et de l’environnement naturel?
A partir de la problématique précitée, il était donc essentiel de s’assurer que l’évaluation des « risques-projets » serait faite en y intégrant les intérêts respectifs des multiples « parties prenantes » (du pays d’origine et du pays d’accueil), afin d’éviter que les « opportunités », identifiées comme telles pour les uns, ne se transforment pas en « menaces » identifiées ou vécues comme telles pour les autres, et que ces appréciations (perçues ou vécues) ne génèrent, en retour, des réactions et phénomènes préjudiciables (blocages structurels et crises conjoncturelles) à l’existence et l’avenir de ces mêmes projets, mais aussi de pays entiers, de leur patrimoine naturel et de leurs sociétés.
Trois postulats de départ fondaient la démarche :
- les intérêts des élitesd’un pays d’accueil (gouvernement, milieux politiques et économiques, cercles intellectuels ou religieux aux niveaux local et national) ne correspondent pas forcément aux besoins fondamentaux de leurs populations et ne prennent pas nécessairement en compte la protection du patrimoine naturel;
- les intérêts d’entreprises étrangères, de gouvernements étrangers partenaires, ou l’intervention des institutions internationales multilatérales, ne sont pas nécessairement en phase avec les besoins fondamentaux d’un pays d’accueil ;
- les projets de développement durable, portés par des ONG étrangères dans un pays d’accueil, peuvent :
– manquer de l’objectivité requise pour respecter les attentes des populations locales, (notamment en raison de leurs plus ou moins grande dépendance par rapport à des sources de financement officiel, professionnel, confessionnel, etc.) ;
– se heurter aux projets d’ONG locales ne partageant pas leur analyse de la situation et ayant, de ce fait, défini des priorités différentes des leurs ;
– entrer en conflit plus ou moins direct avec les opérations de « prédation » réalisées sur l’économie et le patrimoine naturel de leurs pays par des élites et des intérêts locaux, nationaux, étrangers.
Une nécessité : pour des entreprises, des Etats et leurs organismes de coopération, pour des Institutions Internationales, mais aussi des ONG, plus particulièrement issus de pays démocratiques : la gestion proactive du « risque projet »,associée très étroitement au « risque d’image ».
Les exemples qui suivent, ont ainsi été déclinés sous formes de « cas » permettant d’apprécier la notion de « risques pour les projets » et de « risques pour les pays » associés à toute forme de démarche unilatérale de l’action internationale. L’objectif est donc, en ne présentant, ici, que les impacts négatifs (menaces), ou perçus comme tels, de projets bien précis, de montrer l’intérêt (politique, financier, etc.), pour différents groupes d’acteurs dont les stratégies organisent le monde, d’une prise en compte systématique et proactive des conséquences globales de leurs décisions.
A l’heure de l’Internet (les campagnes organisées de boycotts, d’information ou de protestation peuvent avoir un impact dévastateur) et d’une gestion de l’épargne mondiale pour le compte de tiers, dont les principaux acteurs (particulièrement les grands fonds de retraite publics aux Etats-Unis) exigent de leurs investissements qu’ils soient sûrs, liquides, rentables mais aussi de plus en plus, que ces investissements s’inscrivent dans une perspective de « responsabilité sociale » (voire aujourd’hui « globale[10] ») et de « développement durable », tant chez eux, que dans les économies émergentes[11], aucune entreprise qui diffuse ses marques à l’échelle du globen’a intérêt à être perçue comme étant associée, dans ses opérations, à des pratiques, des régimes politiques et/ou des milieux économiques qui ne respectent pas les grands principes contenus dans le « Global Compact » (Pacte Mondial) des Nations Unies : droits de l’homme[12] ; droits du travail ; respect de l’environnement ; lutte contre la corruption.
Ici, la préoccupation correspond avant tout à deux réalités : la pression croissante de certains actionnaires de poids pour « l’investissement socialement responsable [13]» (cf. supra); la nécessité de « croissance globale » qui implique le développement de « marques globales » auxquelles sont nécessairement attachées une « réputation globale ». Ainsi voit-on se développer, dans ces entreprises, en parallèle de leurs « stratégies d’affaires » (business strategies), la conception de « stratégies sociales » (social strategies)[14] destinées à leur permettre de figurer de façon honorable, dans des palmarès établis par l’intermédiaire de dispositifs de « rating social [15] » (qui se sont multipliés en France avec la loi NRE[16]) dont les contenus, mais également l’indépendance des prestataires, restent sujets à débats.
1 – Le cas de la société Nestlé[17]
Au cours des dernières années, le géant suisse, dans les secteurs de l’alimentaire et de l’eau (potable et en bouteille) a joué avec le feu[18]. Contrôlant 511 usines dans 86 pays, une politique ambigüe vis-à-vis de ses engagements citoyens[19] lui a valu de faire l’objet d’un boycott international de ses produits, exacerbé par le soutien public de son CEO (Peter Brabeck-Letmathe dit « le chanoine[20] ») au décalogue du « Global Compact »[21].
– Des risques sur la santé des nourrissons dans les pays les moins avancés
En 1979 déjà, 150 organisations non gouvernementales mettaient sur pied IBFAN (International Baby Food Action Network), dans le but de dénoncer les stratégies commerciales de Nestlé encourageant les femmes du monde entier à renoncer à l’allaitement maternel au profit de lait en poudre ; et aux Etats-Unis, 30 associations créaient l’International Nestlé Boycott Committee dont l’action était massivement suivie en Angleterre, Suède et Allemagne.
Le problème était le suivant : les populations n’ayant pas d’accès à l’eau potable dans la plupart des pays du tiers-monde, des milliers de nourrissons décédaient, du fait de l’ingestion de lait en poudre mélangé à une eau insalubre, ou préparé dans des biberons malpropres. Or, une enquête, effectuée à l’époque par des chercheurs anglais, avait établi que le lait maternel avait des effets infiniment plus bénéfiques pour la santé des nourrissons que le lait en poudre. Les résultats et conclusions, largement diffusés dans le monde par l’ONG britannique Oxfam, eurent pour effet d’accréditer la thèse en fonction de laquelle, acheter des produits de substitution Nestlé, constituait une atteinte à la santé des nourrissons.
A la suite de ces actions, l’assemblée générale annuelle de l’OMS vota en 1981 un « code international de commercialisation des substituts du lait maternel » qui interdisait toute forme de publicité incitant les mères à recourir à des produits de substitution au lait maternel. Nestlé signa le code en 1984, ce qui eut pour effet de mettre un terme au boycott. Toutefois, la polémique autour du sujet et de son interprétation par l’entreprise multinationale n’était pas terminée. En 1996, l’assemblée de l’OMS réclamait de façon officielle et urgente que « les aliments complémentaires ne soient pas commercialisés sous une forme qui pouvait compromettre l’alimentation maternelle exclusive et durable[22]. » Et en 2001, la même assemblée recommanda que l’alimentation complémentaire ne démarre pas avant « 6 mois », reprenant une de ses résolutions passée en 1994 sur le sujet, qui mettait déjà l’accent sur l’importance de ce délai et le recours, ensuite, à des « aliments sains issus de l’agriculture locale[23] ».
Où en était Nestlé sur ces questions?
Comme le firent remarquer les membres d’IBFAN, au cours des années, l’entreprise paraissait avoir pris quelques distances par rapport à ses engagements de 1984.
Cette réalité était, selon eux, illustrée par les éléments suivants : en 1999, la UK Advertising Standards Authority déclarait officiellement que Nestlé ne respectait pas ses engagements à commercialiser ses aliments pour enfants de façon « éthique et responsable[24] » ; en 2000, l’entreprise refusa de participer à une audition du Parlement Européen sur le sujet ; et en janvier 2004, le UK Trading Standards Office demanda aux détaillants qu’ils cessent la vente de magazines contenant de la publicité pour les aliments de substitution destinés aux nourrissons (dont Nestlé était, entre autres, l’un des principaux fournisseurs)[25].
Entre temps, et certainement peu désireuse de compromettre son image alors que l’entreprise s’était affiliée au « Global Compact », Nestlé déclara qu’elle allait mettre ses pratiques en conformité avec les réglementations internationales. En 2003, les dirigeants de la firme annonçaient qu’ils avaient fait modifier les étiquettes des substituts alimentaires à l’allaitement maternel pour respecter l’impératif des « 6 mois » et en 2004, qu’ils apportaient leur soutien à la résolution de l’assemblée de l’OMS de 2001 sur cette question.
Malgré ces propos rassurants, un suivi des pratiques mondiales de Nestlé par les associations membres d’IBFAN révéla une réalité plus nuancée : si, dans de nombreux pays, l’étiquetage avait changé, dans d’autres, ce n’était toujours pas le cas. En outre, Nestlé continuait d’entretenir l’ambiguïté : le résumé officiel de sa politique en matière de commercialisation des laits infantiles stipulait seulement que « Nestlé encourage et soutient que l’allaitement maternel exclusif est le meilleur choix pour les bébés pendant les premiers mois de la vie[26] » ; et en 2003, l’entreprise accordait une subvention généreuse à l’American Academy of Pediatrics (AAP) pour l’envoi, à 50 000 médecins, du AAP 2004 Pediatric Nutrition Handbook dontla version 2004 du manuel de référence reprenait à plusieurs reprises la formule « 4 à 6 mois » (contrairement à la version de l’année 2000 qui préconisait l’allaitement maternel pour une période de 6 mois) et ne consacrait qu’une note de bas de page précisant que la période de 6 mois était plus particulièrement recommandée[27].
Un dernier point de contentieux opposa les associations d’IBFANà Nestlé : le fait que l’entreprise continuât d’organiser une promotion soutenue de ses produits de substitution dans le monde en utilisant tous les supports à disposition (internet, magazines, prospectus, points de vente, panneaux publicitaires dans les villes, etc.), mais aussi les relais de la médecine locale (médecins, infirmiers ou centres ambulatoires) ou encore en facilitant la distribution de biberons ou de boîtes de lait gratuites[28] contrairement aux engagements pris dans son code de conduite officiel[29]. Ces procédés commerciaux étaient à mettre en face d’une autre réalité : selon les chiffres de l’UNICEF, 4000 nourrissons meurent, chaque jour, en raison de l’absorption de lait en poudre, administré dans des conditions d’hygiène insuffisantes. Et c’est sur la base de cette réalité que l’International Nestlé Boycott Committee reprit du service aux Etats-Unis[30], appuyé par d’autres actions en Europe (qui motiva de nouveau l’appel à boycott des produits Nestlé dans une vingtaine de pays), – les associations estimant que Nestlé ne respectait, ni le Code international pour la commercialisation des substituts de lait maternel de 1981, ni le nouveau code de 2002 (Stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant[31]). Ce dernier, dont les règles s’appliquent à tous les Etats et entreprises concernées, contient d’ailleurs des dispositions visant à s’assurer qu’aucune entreprise de l’alimentation ne pourra plus s’abriter derrière l’inaction d’un gouvernement (souvent motivée par la corruption) pour contourner ses prescriptions.
– Des risques sur les droits essentiels des populations locales (droits de l’homme et droit du travail) et des menaces sur le développement durable des pays investis
Dans la seconde édition de « Les principes fondamentaux de la direction et de la gestion de Nestlé (2002)», Peter Brabeck-Letmathe écrit : « […] la société Nestlé s’efforce d’être une entreprise qui s’appuie sur des valeurs et des principes sains ». […] En tant qu’administrateur, je m’engage à faire en sorte que notre Société soit gérée sur la base de ces principes et d’en faire la promotion auprès de tous nos collaborateurs dans le monde entier[32]. » L’intégration, par Nestlé, des principes du Global Compact dans son code de conduite officiel, introduit l’obligation, pour ses dirigeants de mettre, à l’échelle de la planète, les pratiques de l’entreprise, de ses filiales et de ses fournisseurs, en conformité.
La tâche pourrait s’avérer particulièrement délicate, tant la réalité de ces pratiques, tirée par la logique prédominante du profit financier et de son principe actif, « la compétitivité globale », assombrit l’horizon du pacte mondial.
Si l’on prend ainsi la perspective du « développement durable », c’est aujourd’hui la survie de populations entières qui, à l’échelle du globe, est menacée par les politiques commerciales agressives des plus grandes entreprises de l’agro-alimentaire. Dans le secteur du café, par exemple, la pression à la baisse sur les prix exercée par cinq sociétés géantes (dont Nestlé) qui, à elles seules, achètent plus de 44% de la production mondiale et dominent en outre presque totalement les domaines de la torréfaction, de la transformation et de la commercialisation du café[33], prive, dans plus de soixante-dix pays, des millions de familles paysannes généralement pauvres impliquées dans ce secteur d’activité, des revenus qui leur permettraient de subvenir à leurs besoins essentiels et les condamne à la famine et à l’errance[34]. Alors que pendant plus de trente ans, l’ICAN (International Coffee Agreement) – conçu par les principaux Etats producteurs et les grandes sociétés de l’agroalimentaire dans un contexte géostratégique de guerre froide pour garantir aux petits producteurs de café des prix relativement stables, rémunérateurs et leur éviter, dans le même temps, la tentation de céder aux sirènes révolutionnaires et au vote communiste – avait pu remplir sa mission, la fin de l’affrontement est-ouest et l’expansion de la globalisation sur fond de dérégulation, signaient son arrêt de mort, et la soumission du marché mondial « au droit du plus fort[35] » avec les conséquences susmentionnées.
Cette situation, qui illustre très clairement les limites du Global Compact, a conduit Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, à évoquer le dilemme auquel est confronté le dirigeant d’un groupe multinational comme Nestlé par rapport à son engagement dans le Pacte Mondial et par rapport à la situation d’un pays comme l’Ethiopie (dont le café est le principal produit d’exportation), en formulant deux questions : « Brabeck devrait-il payer aux producteurs éthiopiens un prix décent pour les grains de café qu’il leur achète, alors que le marché mondial lui permet d’obtenir ces mêmes grains à un prix dérisoire ? Brabeck doit-il renoncer au principe de la maximalisation du profit qui est à la base de la puissance mondiale de Nestlé…et risquer que ses ennemis d’Archer Daniels Midland, d’Unilever ou de Cargill l’éliminent du marché du café ? »
En sus de ce type d’interrogation qui est au cœur du déploiement stratégique d’un groupe mondial comme Nestlé et de la survie quotidienne de populations fragiles à l’échelle du globe, d’autres éléments contredisaient les engagements du groupe multinational envers les grands principes du « Global Compact des Nations unies » dont ceux, affirmés par lui, de « soutenir la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit aux conventions collectives », ainsi que « l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire[36] » (principes 3 et 4 du Pacte Mondial des Nations unies, relatifs au travail[37]).
Un collectif, constitué en Suisse pour surveiller, dans le monde, les pratiques du groupe Nestlé et soutenu par de grandes ONG comme Attac, Greenpeace et IBFAN, parvint à réunir, sur cette question, des témoignages troublants, obtenus par des syndicalistes travaillant tous dans des filiales de Nestlé. A chaque fois, en Colombie, aux Philippines, au Brésil, en Thaïlande, etc. qu’un noyau syndical s’était constitué ou qu’une menace de grève s’était précisée à la suite de décisions défavorables pour les salariés, les directions locales du groupe n’avaient pas hésité, selon les témoins, à recourir à des pratiques coercitives, voire agressives (intimidation et violences exercées par des unités de la police ou des forces paramilitaires, chantage au désinvestissement, licenciements)[38].
Dans le même temps, et cette fois ci, de nouveau dans le domaine du « développement durable », d’autres décisions portées par la seule rationalité économique et financière du groupe multinational constituaient de véritables « risques » pour l’avenir de certains pays. Ainsi, les investissements directs réalisés par Nestlé pour acquérir d’immenses fermes dans des pays comme le Brésil, du fait qu’ils contribuent au développement de l’agriculture tournée essentiellement vers l’exportation (un modèle très prisé par les institutions multilatérales pour sa capacité à faire rentrer des devises et équilibrer les comptes nationaux), portent autant de coups mortels à la petite et moyenne propriété agricole familiale moins rentable et donc à la « souveraineté alimentaire » de ces pays (Nestlé, comme d’autres géants de l’agroalimentaire, est en effet en situation d’imposer ses propres produits alimentaires à ses prix) mais également à leur environnement, épuisé par les pratiques productivistes concomitantes[39].
Le cas des « risques pour les pays liés aux pratiques entrepreneuriales » ayant été évoqué[40], il est possible maintenant de s’intéresser aux « risques portés par des pays riches dans des pays qui le sont moins », parfois par l’intermédiaire même des programmes d’ « aide publique au développement » et des intérêts économiques associés.
2 – Le cas des pays riches et de l’Aide Publique au Développement (APD)
Aucun gouvernement de pays riche, engagé officiellement dans le soutien aux grands principes universels défendus par les Nations unies et aux « objectifs de développement du millénaire » (cf. « The Millenium Development Goals[41] ») ne devrait pouvoir considérer, vu la multiplication de situations catastrophiques dans de nombreux pays du globe et leurs rétroactions négatives globales (conflits, mouvements migratoires, prédation et dévastation des ressources naturelles, pandémies, etc.) de favoriser, pour des raisons économiques et/ou diplomatico-stratégiques, des projets d’aide et de coopération, dont la réalisation, souvent favorable aux élites du pays d’accueil, est néanmoins susceptible, à plus ou moins long terme, de porter atteinte aux droits fondamentaux et aux intérêts des populations locales et de leur environnement.
La réalité du problème, issue de l’observation des pratiques de « l’aide publique au développement (APD) » et de ses conséquences sur les pays, est exprimée par les militants d’un collectif d’associations (« Coordination Sud[42] ») de la façon suivante : « En termes de transferts de ressources Nord/Sud, les flux d’aide sont loin de compenser les flux financiers négatifs générés par le remboursement de la dette, l’échange commercial inégal ou l’évasion fiscale. En réalité, l’aide est souvent plus un instrument de la politique étrangère et des intérêts économiques du donateur qu’un réel mécanisme de redistribution[43]. »
– Des risques liés à la prolifération des « éléphants blancs » (Afrique subsaharienne), la ruine de pays et l’enrichissement des « kleptocrates »
Alors que « l’Afrique n’est plus l’eldorado des entreprises françaises[44] » et qu’« il est loin le temps où, durant la guerre froide, les groupes français, très bien implantés en Afrique francophone contrôlaient plus de la moitié des marchés au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Cameroun ou au Sénégal et enregistraient des profits considérables avec le soutien de la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (COFACE)[45] », l’examen des pratiques publiques françaises en matière de soutien aux affaires, et leurs effets induits dans cette partie du globe, reste néanmoins pertinent pour illustrer la notion de « risques pour les pays ».
La France a longtemps pratiqué en Afrique une politique d’aide publique au développement, organisée autour d’un principe simple : celui de « l’aide liée ».
Le principe motivait le Trésor public français à n’accorder de prêt à un Etat qu’en ayant obtenu, au préalable, la garantie que les dirigeants de cet Etat achèteraient « français ». La méthode était bien rôdée : sous la haute autorité du Ministère de l’Économie (directions du Budget et du Trésor), le Trésor prêtait et les entreprises vendaient, n’hésitant pas au passage à surfacturer de 10%, 30%, voire 60% (« partagés entre les décideurs d’ici et là[46] »).
Dans le même temps, les principaux acteurs impliqués y trouvaient, à court terme, leur compte : la France améliorait sa balance commerciale ; ses grands groupes (Bouygues, Thomson, Alcatel, Spie-Batignolles, Grands Moulins de Paris, Bolloré, etc.) faisaient des bénéfices sur des marchés protégés, investissant ou exportant avec la garantie financière de l’Etat français accordée par la Coface[47] ; les partis politiques français recevaient, de la part des entreprises impliquées dans ces contrats, ainsi que des dirigeants des pays aidés, des « dons » utiles pour financier leurs campagnes électorales ; les dirigeants politiques des pays d’accueil pouvaient, en sus des commissions perçues au passage (enregistrés par Bercy comme « frais commerciaux exceptionnels » ou « frais annexes à l’exportation [48]»), entreprendre des grands travaux qui flattaient leur ego (barrages, usines, complexes universitaires surdimensionnés, etc.).
– Des risques de « contre-développement[49]»
La politique française d’« aide au développement » a été à l’origine d’un certain nombre d’effets pervers : tout d’abord, les prêts accordés n’ont cessé de grossir la dette des pays bénéficiaires – une dette rééchelonnée et restructurée, dans de nombreux cas, avec d’autres prêts de l’État français ; ensuite, les entreprises dont les grands contrats l’emportaient sur ces marchés privilégiés, si elles voyaient croître leurs profits à court terme, retardaient d’autant leur adaptation à un marché mondial toujours plus concurrentiel; enfin, les prêts accordés aux pays « amis » le furent, bien souvent, pour des projets totalement improductifs (les fameux « éléphants blancs »).
Quelques-uns d’entre eux, parmi les plus fameux, seront rappelés ici, pour illustration, à partir des travaux de François-Xavier Verschave et Anne-Sophie Boigallais : les douze complexes sucriers projetés de la Côte d’Ivoire, dont cinq seulement, d’un coût à l’époque de 5 milliards de francs, furent réalisés par les Grands Moulins de Paris avec des surfacturations évaluées à 700 millions de francs (le coût de la basilique de Yamoussoukro réalisée par Dumez) et dont aucun ne fonctionna à plus de 30% de sa capacité, produisant du sucre à un coût supérieur à celui du marché mondial et endettant par la même occasion les générations futures ivoiriennes avec des usines qui ne seraient jamais rentables[50]. Peuvent être évoqués également le cas des centraux téléphoniques installés par Alcatel en Ouganda alors que le réseau ne fonctionnait pas, ou la livraison, par Thomson à Libreville et Kinshasa, de « cités informatiques » ultra modernes condamnées à rester dans leurs emballages, les personnels n’ayant pas été formés pour leur maintenance[51], et, pour finir, les industries chimiques du Sénégal, produisant de l’engrais quatre fois plus cher que le cours du marché mondial et polluant dangereusement les trois villes où elles avaient été installées[52].
Ce faisant, lorsque l’on soumet l’évaluation des politiques d’aide au développement pratiquées par la France sur le long terme, aux deux principaux critères d’ « action en faveur du développement économique » et de « bien être comme principal objectif » retenus par l’OCDE, on constate que ces politiques, qui ont privilégié les grands projets et les grands groupes pourvoyeurs de « commissions » et de crédits faciles garantis par la Coface, n’ont jamais vraiment répondu aux demandes et besoins fondamentaux des populations « aidées » (qui étaient, de toute façon, exclues du contrôle et de la gestion de ces projets). Les résultats parlent d’eux-mêmes : l’endettement, la fragilité politique et les graves problèmes sociaux de pays comme l’ex-Zaïre, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, Le Congo (Brazza), la Centrafrique, le Cameroun, Madagascar, le Rwanda, le Togo, etc. ne permettent plus aujourd’hui à la France d’invoquer sa contribution à la stabilité politique de l’Afrique pour continuer de mener sur ce continent, ou ailleurs, le même type de politique d’aide publique au développement.
La réforme de 1998 qui a vu la réorganisation de ses dispositifs autour d’une « direction de la coopération internationale et du développement » sous l’autorité du Ministère des Affaires Etrangères, de la création d’une « zone de solidarité prioritaire » destinée à mieux concentrer l’aide vers les pays les plus pauvres, d’une « agence française de développement », opérateur principal des projets associés aux pays de la zone prioritaire, d’un « comité interministériel de la coopération internationale » et d’un « haut conseil de la coopération internationale » – cette réforme, censée mettre un terme à « l’aide liée » sous la pression de l’OCDE[53], suffira-t-elle à transformer un dispositif administratif jusqu’ici particulièrement complexe, dont la faible délégation de l’aide publique bilatérale à la société civile[54] (les ONG) et aux institutions multilatérales, a entretenu le caractère opaque, propice au clientélisme, aux luttes d’influence et à l’affairisme, en tout cas bien loin des préoccupations de « démocratie » ou de « développement »[55] ?
La charge financière d’un dispositif d’APD qui, pendant des années a permis à des entreprises du secteur privé d’investir de l’argent public par l’intermédiaire de la garantie Coface des contrats et d’un système de « surfacturation » absorbé par le budget de l’Etat[56], a donc été répercutée sur un contribuable français la plupart du temps totalement ignorant de ces pratiques et sur les populations des pays « aidés », endettées progressivement pour des sommes impossibles à rembourser (« associées à des prêts évaporés dans des comptabilités publiques percées ou investies dans des équipements surfacturés, inadaptés et déficitaires[57] »).
En sus des entreprises qui ont trouvé leur compte sur les marchés protégés d’Afrique, le système a permis à des chefs d’État et de gouvernement des pays du continent d’accumuler des patrimoines personnels impressionnants : Mobutu dans l’ex-Zaïre, Moussa Traoré ex-président du Mali, Ratsiraka à Madagascar, Biya au Cameroun, Bongo au Gabon, ou feu le président de la Côte d’Ivoire[58] Houphouët-Boigny, dont la fortune était évaluée à 60 milliards de francs (à l’époque, plus que le PNB ivoirien et 6 fois la plus grosse fortune française), ont organisé le détournement de l’aide et/ou confondu l’économie de leur pays avec leur cassette personnelle[59]. Constitués à partir du pillage (direct ou indirect), de pays souvent riches en ressources naturelles ou agricoles, du détournement des prêts associés à l’aide publique extérieure et du système de surfacturation, ces « patrimoines illicites » et leurs détenteurs ont bénéficié, en outre, de l’ingénierie financière des plus grandes banques du Nord (Citigroup, entre autres[60]) pour se perdre dans les méandres des havres fiscaux de la planète, rendant ainsi toujours plus problématique un retour judiciaire des sommes prélevées à des fins de développement[61].
Les fuites de capitaux autorisées par le « Private Banking[62] » en direction de havres fiscaux et de centres off-shore[63] ont spolié, et continuent de le faire, les populations d’un nombre croissant de pays, des fonds dont elles avaient besoin pour leur assurer développement et prospérité « durables »[64]. Une estimation conservatrice des pertes générées par ces fuites porte le chiffre à 50 milliards de dollars par an (pour les PVD). Mise en perspective, la somme représente à peu près l’ensemble des aides annuelles aux pays en développement, six fois le coût annuel de mise en œuvre de dispositifs d’éducation primaire dans ces pays et près de trois fois le coût d’une couverture universelle de santé[65].
Le cas des « risques pour les pays associés à l’aide publique bilatérale au développement » ayant été évoqué, il est maintenant nécessaire d’évoquer le cas des « risques pour les pays, associés aux prêts, programmes et projets de l’aide multilatérale », gérés par deux des principales institutions de l’ONU : le FMI et la Banque Mondiale.
3 – Le cas des prêts, programmes et projets de l’aide multilatérale gérés par le FMI et la Banque Mondiale
Aucune institution internationale,en particulier celles comme le Fonds Monétaire International (FMI) ou la Banque Mondiale (BM)[66], partie prenante de la galaxie onusienne, ne devrait pouvoir conduire de programmes ou de projets qui, pour des raisons idéologiques et/ou politiques[67] seraient contraires aux principes et objectifs définis dans le « Global Compact » (sur les droits de l’homme, du travail, le respect de l’environnement) et contribueraient, dans leurs effets, à aggraver les risques de « mal-développement » des pays qu’elles assistent.
– Des risques induits par la faiblesse théoriques des modèles et des erreurs de programmation
L’observation des faits permet pourtant de constater que « le modèle » guidant les pratiques de ces deux institutions internationales a souvent été, jusqu’ici, porteur de « risques pour les pays fragiles ».
Le « modèle[68] » et « les pratiques » susmentionnées, sont issues d’un ensemble d’accords informels que le FMI et la BM ont conclu, autour d’un certain nombre de grands principes, durant les années 1980 et 1990, avec les plus importantes sociétés et banques multinationales de la planète, ainsi que la Réserve Fédérale américaine. Formalisés officiellement en 1989 par John Williamson (économiste en chef et vice-président de la BM), ces principes, connus sous le libellé de « consensus de Washington », furent présentés, à l’époque, comme autant de formules incontournables, applicables « à n’importe quelle période de l’histoire, à n’importe quelle économie, sur n’importe quel continent[69] ». Conçus, à partir des méthodes expérimentées au milieu des années 1980 en Amérique latine, leur traduction opérationnelle devait permettre à des pays en difficulté de renouer avec la croissance, de se désendetter et d’accéder enfin au développement. Ils ont ainsi été déclinés en une dizaine de mesures[70] destinées à guider les politiques publiques des « pays aidés ».
Malgré l’application systématique du « package » conditionnant l’accès de ces pays aux prêts des institutions multilatérales, les résultats sont loin d’être probants.
– Des projets porteurs de désastres sociaux et environnementaux
Si l’on observe les chiffres, il est tout d’abord possible de constater que l’endettement extérieur public des pays en développement n’a pas diminué. Bien au contraire, il a augmenté, atteignant 2600 milliards de dollars en 2000, soit quatre fois le niveau de 1980[71]. Le poids relatif de cet endettement s’est également alourdi. En 2000, il représentait 37% des PNB cumulés de ces pays, soit deux fois plus qu’en 1980 et 114% de leurs recettes d’exportation, contre 84% vingt ans plus tôt. Dans ce panorama mondial de l’endettement, l’Afrique subsaharienne et l’Amérique Latine sont particulièrement mal placées. En 2000, la dette totale de la première s’élevait à 206 milliards de dollars et le service de cette dette à 10 milliards de dollars, soit trois fois le niveau de 1980. Quant à l’Amérique Latine, avec un stock total de dette qui en 2000, atteignait 810 milliards de dollars, elle était championne du monde dans cette catégorie, son stock ayant triplé en vingt ans.
Ces chiffres prouvent donc que, jusqu’ici, les mesures prises par les institutions internationales pour alléger le poids de la dette n’ont pas eu l’effet escompté. Et, même les initiatives spécifiques, restent très limitées dans leurs effets. C’est ce qui apparaît lorsque l’on observe l’initiative dite « Pays pauvres très endettés (PPTE) ». Mise en place en 1996 par les Etats créditeurs et les institutions financières internationales et renforcée en 1999, elle ne concerne en effet que 35 candidats potentiels (41 à l’origine) dont la dette publique ne représente que 20% de celle des pays à faible revenu et moins de 3% de la dette totale des pays en développement[72]. En outre, si dans le cadre de ces programmes, des allégements de dette sont consentis à certains pays, les mesures de « bonne gouvernance[73] » qu’ils doivent mettre en œuvre, contribuent à réduire d’autant leurs investissements sociaux. Comme l’explique Éric Toussaint, du « Comité international pour l’annulation de la dette », « le FMI interdit aux gouvernements de recruter et de former suffisamment d’enseignants, d’aides-soignants, de médecins au nom de sacro-saints principes comme la réduction de la fonction publique et l’équilibre budgétaire[74] » avec des conséquences catastrophiques pour la santé et l’éducation des populations concernées. Quant à la proposition faite, le 11 juin 2005, par les ministres des finances des pays du G8, d’effacer la dette de 18 pays pauvres[75] détenues par la BM, la Banque Africaine de Développement (BAD) et le FMI (soit 40 milliards de dollars) sans que ces institutions n’aient leur mot à dire – aussitôt annoncée, elle rencontrait l’opposition de quatre pays du Nord non membres du G8[76], dont les gouvernements exigeaient : dans le cas de la Belgique que le FMI poursuive ses politiques selon les règles actuelles, et, dans le cas de la Suisse, de la Norvège et des Pays-Bas que le FMI maintienne une politique de conditionnalité forte, en échange de l’effacement de la dette.
Echec, donc, jusqu’ici – confirmé dans les chiffres, mais aussi dans la multiplication des propositions de traitement de la dette – des mesures contenues dans un « modèle » présenté à l’origine, par les institutions multilatérales, comme un remède « scientifiques » à la dette.
Qu’en est-il maintenant du « développement » ? Là encore, les chiffres sont têtus[77]. La part trop importante de la richesse nationale que de nombreux pays consacrent au remboursement de leur dette, l’alourdissement de cette dernière par des investissements souvent improductifs, des surfacturations et le détournement éventuel des prêts par leurs dirigeants – ces éléments excluent la possibilité de résoudre, de façon « durable », les carences profondes dont souffrent leurs populations en matière d’alimentation, de santé, d’éducation mais aussi d’environnement (désertification, déforestation, etc.) et qui sont autant d’atteintes à leurs droits fondamentaux.
Dans ces conditions, les « risques d’insécurité sociale » ne cessent de croître, renforcés par les erreurs de pilotage des spécialistes de la Banque mondiale et du FMI.
L’analyse qui, jusqu’ici, restait marginale par rapport aux courants dominant les interprétations de l’économie mondialisée, a été confirmée par un spécialiste de renom dont l’expérience est difficilement contestable. Il s’agit, en effet, de Joseph Stiglitz, ancien « Senior Vice-President » et « Chief Economist » de la Banque Mondiale, lauréat en 2001 du prix des sciences économiques de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel[78]. Ce dernier, après avoir démissionné de son poste à la BM en janvier 2000, formula un certain nombre de critiques très sévères sur les effets des hypothèses et mesures contenues dans le « modèle » associé au « consensus de Washington ». Parmi ces critiques, peuvent être citées, pour illustration[79] : « la libéralisation des marchés financiers », une politique dont Stigliz affirma que personne n’avait la moindre preuve qu’elle stimulât la croissance économique et qui, dans les faits, était inadaptée pour des pays à l’aube de leur développement ou au début de la transition ; autre point d’achoppement dénoncé par le chercheur-praticien, « les politiques monétaires restrictives » accusées par lui d’avoir interdit toute création d’emploi en raison d’un niveau trop élevé des taux d’intérêt (dissuasif même dans le contexte le plus favorable); également pointée du doigt « la libéralisation du commerce », engagée avant même que n’aient été créés des filets de protection sociale indispensables pour éviter de précipiter dans l’indigence ceux dont les activités ne pouvaient résister à la concurrence extérieure ; accentuant encore les problèmes précités, « les erreurs de calendrier et de rythme des réformes », dont l’application trop hâtive n’avait fait qu’amplifier le chômage et la pauvreté ; dernier point qui sera souligné ici, l’analyse faite par Stiglitz, en fonction de laquelle la croissance enregistrée dans certains pays avait profité surtout aux « riches », et tout particulièrement aux « très riches », alors que les revenus des plus défavorisés baissaient, accroissant ainsi la misère des populations fragiles.
Les observations de Stiglitz parurent « avoir fait mouche », puisque James Wolfensohn, qui présidait alors aux destinées de la Banque Mondiale, décida, en 2001, de modifier, pour l’assouplir, la politique de conditionnalité associée aux prêts de la Banque et d’ajouter un « Social Board » à son organigramme (cf. infra). Si ces deux types de mesures s’inscrivaient dans les nouvelles préoccupations annoncées de la Banque, de « soutien à la réduction de la pauvreté » (Poverty Reduction Support) et de volonté d’assurer un « empowered development », c’est-à-dire « un développement économique et social contrôlé par les victimes du sous-développement elles-mêmes[80] », les observateurs s’aperçurent très vite que ces modifications ne changeaient pas grand-chose.
Un collectif d’associations (Debt and Develmopment Coalition Ireland – DDCI) qui suivait le dossier du « Poverty Reduction Support Credit (PRSC) fit le constat suivant : s’il était vrai que le nombre moyen de conditions imposées par programme d’aide avait diminué (de 45 au début des années 1990 à une douzaine) et que la nature de ces conditions avait évolué pour une meilleur prise en compte affichée des considérations sociales et d’une amélioration des conditions d’intervention de l’Etat dans l’économie, pour autant, des réserves s’imposaient toujours[81].
Dans son vocabulaire, la Banque Mondiale distinguait, en effet, « les conditions impératives » c’est-à-dire celles qui devaient être remplies obligatoirement pour voir se débloquer les prêts (et dont le nombre avait effectivement diminué), des « conditions non impératives », c’est-à-dire, celles n’influant pas sur leur décaissement (dont le nombre avait fortement augmenté). Mais le problème, c’était le flou séparant ces deux catégories dans la mise en œuvre, un point sur lequel la Banque ne proposait pas de réponse aux dirigeants des pays du Sud, mis alors dans l’incapacité de faire la différence. Autre sujet de préoccupation, révélé, cette fois, par une étude réalisée sur 13 programmes d’aide en cours de la Banque. Elle mettait en exergue la variabilité du nombre de « conditions impératives » en fonction des pays : 16 au Guyana et 82 au Rwanda. Apparaissait, également, dans l’observation des pratiques, le fait que les prêts de la Banque Mondiale n’étaient versés aux pays aidés que lorsque les conditions habituelles avaient été remplies : encouragement aux investissements du secteur privé ; décentralisation de la fourniture de services publics ; attribution au secteur privé de la réalisation des infrastructures essentielles (eau, énergie, télécommunications) ; libéralisation du commerce ; privatisation des entreprises publiques; réforme de la gestion des finances et de la comptabilité publiques. L’ensemble s’accompagnait, en outre, d’un manque de transparence qui excluait les parlements et la société civile de l’examen des programmes et contribuait donc toujours, selon les mots des observateurs de la coalition d’associations, à « acheter les réformes avec de l’argent, versé seulement lorsqu’un certain nombre d’ ‘actions préalables’ avaient été réalisées[82]. »
Quant au « Social Board » – « département social » devant être désormais être consulté par tout chef de projet de la Banque Mondiale, afin d’examiner les conséquences sociales, environnementales et familiales de chaque investissement (qu’il s’agisse d’une autoroute, d’un barrage, d’un conglomérat d’usines, etc.) – il était apparu très vite qu’il ne disposait, dans les faits, d’aucun pouvoir capable d’empêcher la réalisation de projets porteurs de désastres sociaux et environnementaux.
Pour illustrer le problème, Jean Ziegler citait un projet, celui de « l’oléoduc Tchad-Cameroun » destiné, sur 1000 kilomètres de forêt vierge, à acheminer le pétrole du bassin de Doba, au sud du Tchad, jusqu’à la côte atlantique du Cameroun, à Kribi. Présenté, au début du troisième millénaire, comme le projet industriel dont l’investissement privé serait le plus élevé de tout le continent africain, le coût de la seule phase de démarrage se chiffrait, en 2001, à 3,7 milliards de dollars.
La Banque Mondiale fut impliquée dans le projet à double titre : d’une part, elle avait la responsabilité de faire admettre le tracé de l’oléoduc aux populations concernées, lorsque les études de faisabilité seraient achevées ; d’autre part, elle devait apporter près de 200 millions de dollars pour la première phase de réalisation et 300 millions lors de la seconde phase. Si, au Tchad, la dictature militaire d’Idriss Déby assura qu’il n’y aurait pas d’opposition au projet, la situation était très différente au Cameroun. Dans ce pays, fragilisé par la corruption, mais où, l’emprise de l’Etat sur la société civile demeurait faible, de nombreux mouvements citoyens, ONG, et groupes écologiques mirent à profit les relations étroites qu’ils entretenaient avec le parti des Verts et Greenpeace en France[83]. Ce faisant, la Banque Mondiale et le groupe des pétroliers à l’origine du projet (Exxon, Shell et Elf), se trouvèrent bientôt confrontés à la résistance de mouvements camerounais, épaulés par leurs correspondants français[84]. Ceux-ci, conformément au principe d’« empowered development » revendiqué par la Banque Mondiale, réclamèrent alors sa mise en phase avec trois exigences qui mettraient les populations concernées en position de le contrôler : assurer, tout d’abord, le partage équitable des futures rentes du pétrole ; obtenir, ensuite, des garanties contre la corruption ; modifier, enfin, le tracé de l’oléoduc pour épargner la forêt abritant des populations de Pygmées. Après une valse-hésitation, Wolfensohn, qui avait récusé la première étude, finit pas accepter le projet. Il argua d’une modification du tracé et de l’engagement formel d’Idriss Déby, d’inscrire dans la loi, l’affectation de 80% des futures recettes pétrolières au développement économique, à l’éducation et à la santé, et d’en bloquer 10% supplémentaires dans un « fonds spécial pour les générations futures ».
Pour de nombreux observateurs, la décision de Wolfensohn prouva, une fois de plus, l’incapacité de la Banque Mondiale à modifier ses pratiques. Sur les engagements du président tchadien, Jean Ziegler écrivit les lignes suivantes : « Idriss Déby signant une loi contre la corruption ? La chose est à peu près aussi crédible que si Pinochet s’était engagé en 1973 à lutter en faveur du socialisme, des droits de l’homme et contre la torture. Comble du ridicule : le despote a annoncé la constitution d’un ‘Comité de contrôle public’ pour surveiller l’application de la nouvelle loi[85]. » Le propos était complété par celui de Bruno Rebelle, président de Greenpeace France qui déclara : « Les discours s’habillent, les pratiques restent. Voilà un exemple emblématique d’investissement non éthique que la Banque Mondiale ne devrait pas faire. » L’affaire provoqua une controverse à l’intérieur des rangs mêmes de la Banque où, dans un mémorandum confidentiel, plusieurs économistes se désolidarisèrent de Wolfensohn, affirmant que « l’oléoduc comporterait des risques de dérapages politiques et écologiques significatifs[86]. »
Les cas de « risques pour les pays » associés aux stratégies d’entreprises, aux politiques d’aide publique et aux pratiques des institutions internationales ayant été présentés, sera maintenant évoqué le cas des « risques associés aux projets des ONG ».
Aucune ONG,soucieuse de mettre ses missions en adéquation avec les valeurs universelles portées par l’ONU, n’a intérêt à voir son image associée à des investissements, prêts ou programmes portés par des entreprises, des intérêts politiques ou des institutions multilatérales dont les effets mettent (ou pourraient mettre) en danger, les droits fondamentaux et le patrimoine naturel des populations écartées de la décision, dans des pays fragiles.
4 – Le cas des ONG impliquées dans « l’humanitaire », la « conservation » et le « développement durable »
Le monde des ONG est extrêmement difficile à cerner, car très éclaté. En vingt-cinq ans, leur nombre serait passé de 4000 à 35 000 dans le monde[87]. Leur taille est également très variable et s’ajoute au facteur précédent pour rendre très complexe leur appréhension : cela va de petites structures d’une douzaine de personnes fortement financées par la générosité publique locale, une personnalité ou un évènement, aux ONG plus importantes qui ont toutefois du mal à se faire une place sur le « marché de la donation privée » et doivent alors se tourner vers des guichets institutionnels (budgets des Etats et des OIG), aux « poids lourds » gérant pour certaines (Croix Rouge, Handicap International, CCFD, etc.) d’importants budgets, attentifs à diversifier leurs sources de financement public, et disposant d’ « une image forte, ainsi qu’un réseau de donateurs stables et une armature solide[88] ».
Dans tous les cas de figure, l’accès aux ressources financières indispensables pour pérenniser leur activité, reste, pour les ONG, une préoccupation majeure porteuse de « risques » (dérive « affairiste », liée à une concurrence féroce entre elles sur le « marché des dons », « instrumentalisation ») qui s’ajoutent aux « risques opérationnels » (absence d’ « Etat de droit », insécurité, corruption endémique, absence d’infrastructures essentielles) rencontrés sur les terrains d’opérations étrangers. En ce qui concerne, plus particulièrement, les ONG impliquées dans le développement durable, la protection des droits de l’homme et la conservation, les éléments précitées peuvent devenir alors autant d’obstacles pour réaliser, dans l’esprit des principes universels défendus par l’ONU, les missions extérieures d’interventions d’urgence, de fourniture de « biens publics » (eau, énergie, santé) et de défense de « biens communs » (patrimoine naturel) qui sont devenus les leurs, dans des contextes où les institutions représentatives, administratives et gouvernementales ne peuvent remplir leurs fonctions.
– Les « risques de « déni d’existence souveraine », d’« affairisme » et d’« instrumentalisation »
Dans l’imaginaire public, les ONG impliquées dans « l’humanitaire », « le développement » et « l’environnement », sont fréquemment associées à des discours politiques radicaux à l’égard des Etats, des bailleurs de fonds multilatéraux, et des grandes entreprises.
Toutefois, l’observation des pratiques montre, bien souvent, que, derrière les discours militants, des relations étroites existent entre eux, qui font la part plus belle au pragmatisme et à la coopération, qu’à l’antagonisme et au rejet mutuel. De fait, ces acteurs ont besoin les uns des autres, un élément qui illustre bien la réalité de leurs rapports, mais qui, dans le même temps, n’est pas sans poser de problèmes[89].
Les Etats et leurs prolongements institutionnels multilatéraux (Banque Mondiale, Union Européenne, etc.) n’hésitent pas, en effet, à confier aux ONG, dans des proportions variables (cf. supra), une partie de leur aide internationale. La Banque Mondiale reconnaît ainsi travailler avec plus de 1000 ONG dans le monde entier, sous réserve qu’elles répondent à une longue liste de critères qui leur sont imposés[90] ; l’Union Européenne a créé Echo[91], en 1992, pour superviser les opérations d’aide qu’elle confie aux ONG partenaires après la signature de contrats-cadres très précis ; l’Etat français soutient aussi financièrement l’action des ONG par l’intermédiaire de la Délégation à l’action humanitaire (DAH)[92], créée en janvier 2002, à la suite de la fusion du Service de l’action humanitaire (SAH) et de la Cellule d’urgence (CELUR). Dans les faits, les bailleurs de fonds publics utilisent les ONG spécialisées dans « l’humanitaire », « le développement » et « l’environnement », pour gérer les situations de détresse humaine, lors de catastrophes naturelles et de conflits, ou encore l’aide à long terme sur le terrain dans le domaine du développement (santé publique, irrigation, éducation, développement local, etc.). Cette option offre deux types d’avantages : tout d’abord, elle revalorise leur contribution au maintien de la sécurité, de l’aide au développement (fortement délégitimée, aux yeux des observateurs, par « l’aide liée » et des échecs récurrents – cf. supra) et de la protection des patrimoines naturels, en associant ces missions aux principes universels défendus par des représentants de la « société civile » ; ensuite, elle leur permet de gagner en efficacité, en contournant, par le biais des ONG, des administrations centrales incompétentes ou corrompues issues d’Etats fragiles ou défaillants.
Il existe toutefois un inconvénient et des risques induits, liés à cette pratique, dont les effets peuvent se traduire par « l’instrumentalisation » et la « décrédibilisation » d’ONG » invitées à « essuyer les plâtres » de politique publiques ou privées dont la nature contrevient à leur obligation de « neutralité » et « d’impartialité », ou génère encore des « risques de déni d’existence » pour les pays aidés.
Il en est ainsi de « l’humanitaire », terrain privilégié des ONG, envahi depuis le début des années 1990 par des gouvernements, dont les logiques politiques, économiques ou militaires s’accordent mal avec l’exigence d’« ’indépendance totale du secouriste à l’égard de considérations autres qu’humanitaires[93]. » Depuis le début des années 1990, les Etats multiplient, en effet, la mobilisation de l’action humanitaire lors du déclenchement et de la conduite d’interventions armées. Selon Fabien Dubuet, deux types de motivations, les y poussent : ce qu’il appelle, tout d’abord, « l’alibi humanitaire », utilisé « pour dissimuler leurs démissions et leur passivité face à des dynamiques criminelles contre des populations civiles », comme en Bosnie (1991-1992), où en confiant aux casques bleus un mandat strictement humanitaire, les dirigeants occidentaux ont mis leurs troupes en situation de « non-assistance à personnes en danger », ou encore au Rwanda (avril-juin 1994), où l’humanitaire a été de nouveau mobilisé pour faire oublier le soutien de Paris au régime Habyarimana et l’inertie de la communauté internationale face à un massacre de 1 million de personnes en 100 jours[94]. Un autre type de motivation illustre l’instrumentalisation de l’humanitaire par les Etats ; c’est ce que Dubuet nomme, cette fois, la « gâchette humanitaire ». Utilisée, en même temps que l’action armée (largages humanitaires lors de l’intervention des Etats-Unis contre l’Afghanistan en 2001), elle est, selon lui, est un moyen pour des gouvernements de profiter d’une situation de détresse humanitaire pour marquer des points sur le plan politico-stratégique (l’opération américaine Provide Comfort pour les populations kurdes, engagée dans le but d’endiguer Sadam Hussein) ou encore pour asseoir la légitimité d’une intervention militaire menée à l’encontre même du droit international (action militaire de l’OTAN au Kosovo et « guerre préventive » des Etats-Unis contre l’Irak en 2003).
Dans les faits, « alibi et gâchette humanitaires » entraînent dans leur sillage les ONG, une réalité exprimée par Thierry Pech et Marc-Olivier Padis de la façon suivante : « Selon un scénario désormais rodé, les 4×4 des urgencières suivent de peu les jeeps et les bombes[95]. » Une remarque, formulée en octobre 2001 par le secrétaire d’Etat américain d’alors, Colin Powell illustre cette réalité. Au cours de l’opération « Enduring Freedom » en Afghanistan, il déclara : « J’entends m’assurer que nous avons les meilleures relations avec les ONG, qui sont un véritable multiplicateur de forces pour nous, une part si importante de notre équipe de combat[96]. »
L’instrumentalisation de l’humanitaire, comme ressource pour « continuer la politique par d’autres moyens[97] » ayant été évoqué, il est possible de citer d’autres « risques » pour les ONG, ainsi que leurs effets induits sur les populations et pays accueillant leurs opérations.
En acceptant, en effet, de se substituer aux acteurs publics locaux défaillants, par l’apport régulier de leurs compétences et ressources, les ONG peuvent contribuer à entretenir l’absence d’institutions publiques devenues progressivement inutiles ; de plus, en assurant les besoins essentiels des populations, et en se reportant sur le local et l’urgence, ces mêmes ONG font courir aux pays un risque plus grave : celui, en reculant indéfiniment le traitement en profondeur des problèmes structurels, de leur faire perdre toute perspective de développement d’ensemble et de construction d’un Etat de droit[98]. Un autre risque, d’ailleurs lié au précédent, mais à une échelle encore plus large cette fois, est pour les ONG de contribuer à élargir les failles de la « régulation globale » et d’y affaiblir la légitimité démocratique de ceux des Etats souverains qui peuvent prétendre à cette qualité dans le cadre d’organisations intergouvernementales. Elles le font en accomplissant, pour le compte des grandes institutions internationales spécialisées, entièrement acquises à la dérégulation des marchés et à la privatisation complète des biens publics (FMI, Banque Mondiale, OMC), les missions d’intérêt général (défense des « biens publics », sauvegarde des « biens communs »), ainsi abandonnées progressivement à des « contre-pouvoirs civils ».
Quant aux relations entre les entreprises et les ONG, la cinquantaine d’actions hostiles organisées par les secondes au cours des années 1990, entre autres, contre Nike, Shell, Total, BP, etc., semble avoir convaincu nombre de dirigeants de firmes multinationales que la coopération, voire le partenariat étaient, dans certains cas, et à certaines conditions, préférables à la « guérilla ». Des entreprises, outre la mise en œuvre d’actions ponctuelles, (« produit-partage », « mécénat de compétences »[99], etc.), associent ainsi des ONG – qui jouent alors leur rôle de « parties prenantes » – à la rédaction de « codes de conduite » dont la finalité est de mettre les pratiques des firmes en adéquation avec le respect des principes universels contenus dans le « Global Compact ». Plusieurs éléments les incitent à le faire (en particulier, les très grandes entreprises qui, ayant signé ce même « Compact », ont « omis » d’en intégrer les règles) : non seulement, la possibilité d’améliorer leur image auprès de leur actionnaires, salariés, de leurs clients mais aussi de tous ceux qui sont concernés par leurs activités; ensuite, la possibilité de vérifier cette performance en se référant aux plus ou moins bonnes notations que leur attribuent des agences spécialisées de « rating social[100] » ; enfin, la possibilité d’éviter à leurs actionnaires de faire indirectement les frais de campagnes de boycott ou de publicité négative organisées contre elles (cf. supra).
La formule du « partenariat », si elle porte en elle de nombreuses opportunités pour les acteurs (entreprises et ONG) qui l’adoptent, contient également des risques pour les droits fondamentaux des populations fragiles.
C’est, dans les années 90, ce que révélèrent des organisations syndicale, pour lesquelles, après études, les « codes de conduite », constituaient autant de moyens utilisés par des entreprises pour échapper à la syndicalisation. Dans la foulée, ces mêmes organisations dénoncèrent « la complicité » de certaines ONG à qui elles reprochaient d’avoir accepté l’idée « qu’élaborer et surveiller des codes de conduite constituait en soi une défense suffisante des droits des travailleurs (en termes de conditions de travail, de santé et de sécurité)[101]alors que ces mêmes codes n’offraient aux salariés aucune garantie que leurs droits syndicaux de base seraient respectés (liberté d’association et de négociation collective) en particulier dans des pays où le droit de s’organiser et de négocier librement était réprimé. Autre problème associé (qui existe toujours), le contrôle de l’application de ces codes. Dans la mesure où de nombreuses firmes ne prévoyaient aucune procédure indépendante de contrôle, ni aucun mécanisme de recours, mais préféraient contracter ce type de garanties auprès de cabinets d’audit ou d’ONG (des acteurs qui leur étaient donc redevables), se posait déjà le problème de la légitimité et de l’efficacité réelle de ces codes.
Il faut dire que des études, réalisées à l’époque, n’incitaient guère à l’optimisme. Si en 1990, 85% des plus grandes sociétés américaines s’étaient dotées d’un « code de conduite » (contre, à la même époque, 42% en Grande-Bretagne et 22% aux Pays-Bas), l’Organisation Internationale du Travail[102] (OIT) révéla, huit ans plus tard, que, sur 215 codes analysés par ses experts, 15% seulement reconnaissaient positivement les droits syndicaux de base (liberté d’association et de négociation collective). Le code de conduite de la société Caterpillar précisait ainsi qu’elle cherchait « à fonctionner de telle façon que les employés ne ressentent pas le besoin d’être représentées par les syndicats ou les parties tierces[103] ». Le phénomène devait être suffisamment préoccupant, dans ses répercussions humaines et sociales à l’échelle de la planète, pour justifier, au cours des deux années qui suivirent (1999-2000) et qui accouchèrent du « Global Compact », l’existence, dans son « décalogue », d’un « principe n°3 » consacré à cette question (« Les entreprises se doivent d’assurer la liberté d’association et le respect du droit à la négociation collective »).
Les relations unissant les grandes ONG à leurs partenaires publics et privés sont ainsi porteuses d’une redoutable complexité. Elles génèrent nombre de questions sur les capacités de leurs dirigeants à conserver une indépendance d’action[104], indispensable pour maintenir comme priorité la protection des droits fondamentaux des populations « privées de voix ».
Les exemples qui suivent permettent de prendre la mesure du problème.
– Les ratés de l’ONG OXFAM, de sa coalition « Oxford Committee for Famine Relief » et de la campagne « Make Poverty History » (MPH)
A la fin de l’année 2003, l’ONG Oxfam (Oxford Committee for Famine Relief[105]) organisa une série de rencontres informelles dans le but de créer une coalition exceptionnelle contre la pauvreté pour 2005. L’année ciblée correspondait à plusieurs échéances : la présidence britannique du sommet du G8 et de l’Union Européenne ; l’évaluation du programme de l’ONU intitulé « Les Objectifs de développement du Millénaire » (« cf. Millenium Declaration[106]») ; la sixième rencontre ministérielle de l’OMC à Hong Kong et le 20ème anniversaire de « Live Aid[107] ».
Le succès fut très vite au rendez-vous.
En septembre 2004, la coalition lançait officiellement une campagne baptisée « Faire de la pauvreté de l’histoire ancienne » (« Make Poverty History – MPH ») avec pour objectif de représenter la contribution britannique à une coalition internationale plus large (« Global Call for Action against Poverty – GCAP »). Dans les mois qui suivirent, elle réunit le soutien de plus de 450 organisations membres comprenant les principaux syndicats britanniques, les ONG de développement et des organisations religieuses caritatives. Son élan séduisit également de nombreuses stars de la scène, les principaux médias et des politiciens, autour d’un agenda très « progressiste ». Adressé au gouvernement britannique, à l’Union Européenne, et aux pays du G8, il énonçait plusieurs revendications[108] : cesser d’imposer des politiques « néolibérales » aux pays pauvres par le biais d’accords commerciaux ou en contrepartie d’un allégement de la dette ou d’une aide accrue ; augmenter, en la doublant immédiatement l’aide au pays pauvres ; supprimer intégralement la dette impayable des pays les plus pauvres sans diminuer pour autant l’aide au développement ; réguler le comportement des multinationales et démocratiser le FMI et la Banque Mondiale.
Deux articles de presse vinrent toutefois troubler l’élan de la campagne MPH, pourtant commencée sous les meilleurs auspices et contribuèrent à égratigner sérieusement l’image de son leader, l’ONG Oxfam, auprès des autres membres de la coalition.
Le 30 mai 2005, Katharine Quarmby posait, dans le News Statesman, la question suivante : « Jusqu’à quel point une ONG peut faire partie intégrante d’une campagne gouvernementale ?[109] » A travers la campagne MPH, la journaliste s’interrogeait en effet sur les conséquences que pouvaient avoir les relations très étroites unissant Oxfam, le premier ministre Tony Blair et son ministre de l’Économie et des Finances Gordon Brown. Cette proximité était visible à plusieurs niveaux : il y avait, tout d’abord, les échanges de personnel entre Oxfam et le gouvernement[110], mais également, des prises de position similaires sur le commerce mondial et le financement de l’aide au développement dans la perspective des Objectifs du Millénaire. L’ensemble, précisait Katharine Quarmby, avait fini par provoquer l’ire de plusieurs ONG membres de MPH dont les dirigeants critiquaient ouvertement la médiatisation extrême du soutien d’Oxfam aux thèse de Brown et de Blair, au détriment des critiques formulées par leurs organisations sur les choix politiques du gouvernement britannique dans les domaines du commerce, de l’aide au développement et de la dette.
La question de l’indépendance politique d’Oxfam, abordée à travers cette affaire, fit l’objet d’autres interrogations contenues, cette fois, dans l’étude de son budget : on y apprenait ainsi que l’ONG britannique percevait près de £40 millions de fonds publics, dont £14 millions étaient versées par le Département pour le Développement International du gouvernement britannique, grand promoteur des programmes de privatisation dans les pays en développement[111]. La presse n’en avait toutefois pas fini avec Oxfam et la campagne MPH. Dans un article du Sunday Telegraph, paru le 29 mai 2005, David Harrison révéla que « Les bracelets vendus pour le compte d’une campagne [MPH] pour lutter contre la pauvreté dans le monde sont fabriqués dans des ateliers de confection chinois qui font travailler leurs employés dans des conditions proches de l’esclavage[112]. » L’analyse était basée sur les « audits éthiques » de deux entreprises chinoises dont le contenu, destiné au départ à rester confidentiel, était parvenu dans les mains du journaliste. L’un, daté du 12 avril 2005, évoquait les pratiques « peu éthiques » de la Tat Shing Rubber Manufacturing Company de Shenzen : des conditions de santé et de sécurité minimales ; des journées trop longues pour des semaines de travail de sept jours ; des ouvriers spoliés de leurs salaires ; l’absence de congés annuels et de liberté d’association[113]. L’autre audit, consacré à la Fuzhou Xing Chun Trade Company, faisait état de carences similaires: des ouvriers payés en dessous du salaire minimum de 24 centimes d’Euros de l’heure, jusqu’à 14 centimes d’Euros ; des heures supplémentaires au-delà des limites autorisées et non rémunérées à leur juste valeur ; aucun congé payé annuel ni de journée libre par semaine ; des salaires suspendus pour raisons disciplinaires en contradiction avec la législation chinoise officielle.
L’alliance d’Oxfam avec l’association Comic Relief, dans le leadership de la campagne MPH, n’arrangea pas les choses.
Fondée, au milieu des années 1980, par le scénariste britannique Richard Curtis, mobilisé à l’époque par l’ampleur de la famine éthiopienne, Comic Relief avait pour but d’inciter les milieux du show business à s’investir dans la lutte contre la pauvreté, la faim et les maladies en Afrique. Utilisant, pour ce faire, le support d’émissions télévisées biannuelles, l’association avait amassé plus de £337 millions depuis sa création. Mais ce succès financier était loin de faire l’unanimité dans le monde associatif britannique. De nombreux observateurs n’adhéraient pas au message que les émissions de Comic Relief transmettaient au public sur les questions précitées. Représentant le continent africain comme une terre dévastée par les catastrophes naturelles et les guerres, elles omettaient, selon eux, de prendre en compte certains legs douloureux du passé colonial, les problèmes engendrés par les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale, ou encore le rôle ambigu des multinationales[114]. De plus, les pratiques des alliés financiers que Comic Relief – via le carnet d’adresses de Curtis – avait drainées vers la campagne MPH, choquèrent de nombreuses associations. On y trouvait, entre autres noms, celui du philanthrope Sir Hunter, qui, malgré des dons d’un million de livres sterling à MPH et l’équivalent de quatre millions en temps d’antenne publicitaire, eut pour effet de déclencher une vive polémique. Il s’avéra, en effet, que cette personnalité avait vendu pour la campagne, des éditions spéciales du fameux bracelet sur lequel figurait non seulement le logo d’une marque (Hilfiger Denims) dont le propriétaire (Tommy Hilfiger Corporation) était accusé d’acquérir des vêtements auprès de sweatshops d’Asie de l’est et d’Amérique latine, mais aussi celui d’autres marques (Henry Lloyd, Firetrap, Diesel, G-Star et Reply) qui, avec la précédente, n’étaient pas référencées comme membres de la UK Ethical Trading Initiative[115].
Un autre élément acheva de discréditer Curtis, et par ricochet Oxfam en raison de sa proximité avec le précédent. Ce fut l’intervention personnelle de Curtis, dans la communication publique de MPH, pour s’assurer qu’elle était en phase avec les choix politiques du gouvernement Blair dans les domaines de la dette et de l’aide au développement. Décidé à utiliser la campagne pour inciter les pays du G8 à s’aligner sur les positions britanniques, cette stratégie provoqua l’indignation de plusieurs ONG qui firent remarquer les contradictions existant entre le contenu « progressiste » de la campagne MPH négocié entre les associations et une communication publique très « pro gouvernementale ». Prié de s’expliquer sur ces choix, Curtis les justifia en déclarant qu’il « trouvait délicat de s’opposer au gouvernement étant donné son amitié personnelle avec Gordon Brown[116] ».
Un dernier point vint ternir le blason d’Oxfam et sa fonction de porte-parole officiel de la campagne MPH ; ce fut la critique, adressée par des dirigeants d’ONG africaines et de mouvements du Sud, sur le « manque de représentativité » de cette campagne. Emmenée par des ONG britanniques, la campagne avait, selon eux, ignoré leur forte réticence à adresser des revendications au G8, considéré par les membres de leur base comme « une instance illégitime de gouvernance globale[117] ». Le traitement de la dette accentuait leurs divergences. Alors que MPH, tout comme le gouvernement britannique, demandait l’annulation de 100% de la dette des pays les plus pauvres, les mouvements de base africains et autres militants du Sud exigeaient « l’annulation totale, inconditionnelle et immédiate de la dette de tous les pays du Sud et pas seulement de celle des pays les plus pauvres[118]. » Plusieurs raisons expliquaient cette prise de position: le caractère « illégitime » d’une dette considérée, par eux, comme « un stigmate de la colonisation » et la résultante de décisions prises par des gouvernements non issus de la représentation démocratique[119] ; l’impuissance totale des pays du Sud, confrontés à la transformation de la politique monétaire américaine dans les années 1970 et 1980, dont les conséquences, traduites par une hausse brutale des taux d’intérêts, les obligeait toujours à consacrer l’essentiel de leurs ressources au remboursement de leurs créances au détriment du développement.
Si, au cours des dernières années, de grandes ONG impliquées dans le développement, comme Oxfam, ont pu voir leur image écornée par une proximité parfois mal gérée avec les milieux politiques ou ceux des affaires, d’autres ONG, spécialisées dans la protection de la nature, comme World Wide Fund (WWF), Conservation International (CI) et The Nature Conservancy (TNC), ont également vu leur légitimité et leur crédibilité remises en cause, sur le terrain même de leurs opérations.
– Gouvernance et populations autochtones : les errements de World Wide Fund (WWF), Conservation International (CI) et The Nature Conservancy (TNC)
Suite à des plaintes émanant de communautés locales, d’ONG nationales et de militants des droits de la personne, en provenance du Mexique, du Guatemala, du Pérou, de l’Equateur, du Venezuela, du Guyana, du Surinam, de Papouasie Nouvelle-Guinée et du Bassin du Congo, une étude, menée par l’une des grandes fondations donatrices (la fondation Ford) pour analyser les rapports entre les grandes ONG du Nord précitées et les communautés autochtones, révéla qu’elles refusaient de plus en plus souvent la participation des « Peuples Autochtones et Traditionnels » à leurs programmes[120].
Quelle fut la réaction des ONG mises en cause ?
L’implication, tout d’abord, des ONG concernées, dans la structure de gouvernance de la fondation Ford, compliqua le processus de transmission et d’évaluation des données sur le sujet. Une étude, initiée par Jeffrey Campbell, Senior Program Officer de la fondation Ford, dans le but d’apprécier ce qui se passait vraiment entre les « communautés autochtones » et « les protecteurs de la nature[121] », illustra l’incidence de ces liens. Peu de temps après le démarrage du travail, Yolanda Kakabadse, la présidente de la World Conservation Union (UICN), et Kathryn Fuller, la présidente du WWF, toutes deux membres du Conseil d’administration (Board of Trustees) de la fondation Ford (dont Fuller était également la présidente[122]), demandèrent que le contenu de l’investigation ne soit, ni rendu public, ni diffusé dans la fondation[123]. Les représentants de la fondation Ford ne reçurent ainsi qu’un briefing oral, mais malgré l’embargo mis sur l’étude, finirent par y avoir accès.
Des fuites sur le rapport ayant eu lieu à destination d’ONG et d’autres fondations, les responsables de WWF, CI et TCN décidèrent alors d’organiser, le 20 avril 2004, une journée de rencontre entre leurs ONG et les représentants de la fondation (sans toutefois y convier des représentants des « Peuples Autochtones »). Divers témoignages permirent de reconstituer la teneur des débats, alors qu’aucun compte-rendu officiel n’était produit. En réponse aux critiques adressées par les représentants de la fondation sur la non-participation des « Peuples Autochtones » à leurs programmes, les dirigeants des grandes ONG refusèrent de faire amende honorable. Ils déclarèrent que « leur mission première était la conservation et non ‘la réduction de la pauvreté’[124] » et nièrent manquer de sensibilité à l’égard de ces peuples. Et lorsque fut abordé le problème que représentait le financement de leurs ONG par des entreprises multinationales œuvrant dans le secteur de l’extraction des ressources naturelles – entreprises accusées parfois de participer à la destruction d’écosystèmes et la mise en danger des populations locales – les représentants de ces ONG répondirent qu’ils souhaitaient rester « apolitiques », laissant aux gouvernements nationaux le soin de régler les conflits opposant, sur ce sujet, les « Peuples Autochtones » et les firmes étrangères. Bien que les représentants de la fondation Ford n’aient pu se mettre d’accord avec les ONG sur les suites à donner au dossier, les premiers ne poursuivirent pas leurs investigations. Une enquête, diligentée à l’époque par un Comité du Congrès américain sur les activités de financement de la fondation en direction de certains groupes au Proche-Orient, parut les dissuader de poursuivre la controverse et les inciter, à l’inverse, à garder un « profil bas ».
L’affaire impliquant WWF, tout comme celle dans laquelle Oxfam s’est retrouvée empêtrée, constituent de sérieux « risques » pour leur « image de marque ».
Leurs partenaires, et dans un cas (Oxfam), le grand public, ont découvert des ONG leaders dont les directions paraissaient, pour l’une (WWF) s’installer dans l’intégrisme de la « cause unique[125] » et pour les deux, entretenir des « liaisons dangereuses » avec le secteur privé, quand elles n’étaient pas perçues comme des « auxiliaires de gouvernements » en raison des liens de proximité trop étroits (Oxfam) ou de financements publics toujours plus importants (WWF et Oxfam). Sur ce dernier point, et après avoir évoqué précédemment le cas d’Oxfam et de l’équipe du premier ministre britannique Tony Blair, il est bon de rappeler que, en ce qui concerne WWF, depuis le début des années 1980, la dépendance financière de cette ONG vis-à-vis de l’agence américaine de coopération USAID n’a cessé d’augmenter. Ayant pourtant entamé leur relation par la définition de « la règle des 50% » en fonction de laquelle WWF n’acceptait jamais qu’USAID finance plus de la moitié du coût d’un projet, le reste étant complété par l’apport de fonds privés, la règle a fini progressivement par s’éroder pour laisser la place à des projets financés par USAID à hauteur de 80 ou 90%[126]. Comme l’a reconnu l’un de ses responsables, « On ne sait pas où ni quand précisément, mais à un moment nous avons franchi la ligne et accepté que des projets et des programmes entiers soient financés avec de l’argent du gouvernement. C’est devenu OK[127]. » Si l’on se souvient qu’au cours de la dernière intervention américaine en Irak, Andrew Natsios, le directeur de USAID affirmait que les ONG sous contrat avec les Etats-Unis étaient « le bras du gouvernement[128] », le risque est alors grand pour des ONG comme WWF de voir leur image associée à la défense d’intérêts qui ne sont pas forcément ceux des « patrimoines naturels » et des « populations » du Sud.
Conclusion
La présentation, en séminaires de masters GEA, GRPS et CID (« Sciences Po’ Bordeaux »), des cas développés ci-dessus, a permis aux équipes d’étudiants, sur la base d’une sensibilisation aux principes du « Global Compact » des Nations unies, et sur celle d’une compréhension de la problématique duale « risques- projet et d’image / risques pour les pays » (sans oublier, bien sûr, les « opportunités » associées à chaque étape et indicateur de l’analyse), de tenter de concevoir, pour des projets et des organisations réels, des « outils à double détente », prenant simultanément ces dimensions dans leurs processus d’évaluation.
Après une phase de réflexion et de recherches conduites par les équipes d’étudiants, plusieurs projets ont été identifiés. Une fois la sélection effectuée, les équipes d’étudiants ont entrepris de rentrer dans la complexité des situations étudiées en réalisant des dispositifs d’évaluation « taillés sur mesure », permettant d’appréhender simultanément, pour chaque projet, son impact global en termes de « risques/opportunités » (« pays sur le projet » et « projet sur le pays »). Les travaux de recherche et d’analyse, effectués au cours du premier semestre sur différents pays, ont été déterminants pour aborder cette seconde étape de la formation.
Les travaux réalisés par les équipes d’étudiants, se sont inscrits dans une démarche pionnière de l’évaluation du risque-pays. Longtemps cantonnée à la seule évaluation des risques et opportunités pour des entités opérant à partir des territoires du Nord, elle s’est ouverte aujourd’hui, et pour des raisons précédemment expliquées, à la nécessaire prise en compte des possibles conséquences des stratégies extérieures d’investissement, d’aide et/ou de coopération pour des territoires et populations qui en font l’objet. L’actualité de cette préoccupation nouvelle et pressante est exprimée dans le thème principal retenu pour un symposium académique du Global Compact (21-22 novembre 2006). Intitulé « Is Corporate Citizenship Making a Difference[129] ? », sa problématique centrale, déclinée à partir de plusieurs questions complémentaires, ne se réduit pas à la seule « responsabilité citoyenne » des entreprises[130]. Elle concerne également « toutes les parties prenantes » impliquées dans un effort de dépassement des conceptions unilatérales de l’action internationale. C’est dans cet esprit que les travaux d’application dans les séminaires ont été réalisés par les étudiants. Osons espérer que leur intégration, dans la formation de futurs cadres et dirigeants d’organisations publiques ou privées, contribuera à l’émergence d’un leadership « globalement responsable ».
Notes
[1] A l’époque, Professeur Sénior HDR de Relations Internationales et d’Études Stratégiques à Bordeaux Ecole de Management (BEM).
[2] Il s’agissait des Masters « Géoéconomie appliquée – GEA », « Gestion des Risques dans les Pays du Sud » GRPS et « Coopération Internationale et Développement » – CID de Sciences Po Bordeaux.
[3] Dès sa création en 1992, ce module électif du programme Sup de CO (ESC Bordeaux) innovait en proposant aux étudiants de travailler, avec des PME/PMI partenaires, sur des projets réels d’investissement ou d’exportation dans le monde. Les étudiants de Sciences Po Bordeaux allaient ainsi bénéficier de l’ingénierie théorique et méthodologique mise au point par l’enseignant et illustrée par les travaux d’application des étudiants de l’ESC Bordeaux, sans oublier une problématique inédite ultérieure, celle de l’évaluation de l’incidence des projets de développement international ou d’investissement en termes de « risques/opportunités pour les pays et leurs sociétés » aux échelons national et local.
[4] Cf. Les exemples de travaux réalisés, en annexe sur le site World Issues and Services – WISer, Formation : « Du risque-pays aux risques pour les pays ».
[5] Constatant dans les années 1990, en France, l’indigence des travaux (ouvrages ou articles spécialisés, thèses, etc.) consacrés aux concepts et dispositifs d’évaluation du risque politique et du risque-pays (en particulier par les entreprises, les banques et les institutions internationales de référence), j’y avais consacré une publication et la première partie de ma thèse. En retour, cette recherche, volontairement exhaustive, avait fourni aux étudiants les références indispensables à la conception d’instruments d’évaluation taillés sur mesure pour les projets d’entreprises, de banques ou d’ONG pour lesquelles ils allaient travailler. Le lecteur trouvera en annexe des exemples de grilles d’évaluation et le feedback d’entreprises sur les travaux réalisés par les étudiants. Pour un éclairage sur les concepts et les outils, Bernard Sionneau, « Risque Politique, Risque-Pays, Risque-Projet », Cahiers du LIPS (Laboratoire d’Investigation Prospective et Stratégique), n°7, novembre 1996, http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/30485/XX_CNELIPSOR_001399.pdf?sequence=1 , et du même auteur, Risque-pays et prospective internationale: théorie et application (à la République socialiste du Viêt Nam), Chicoutimi, Québec: Les Classiques des sciences sociales (2014). Ouvrage numérique réalisé d’après la thèse (2000), http://classiques.uqac.ca/contemporains/sionneau_bernard/risque_pays_vietnam/risque_pays_vietnam.html .
[6] Contribution à l’enseignement, en M2, des Risques-Pays, Projet, Image et Risques pour les Pays à Sciences-Po Bordeaux (2004-2010), Témoignage écrit Céline Thiriot (Co-responsable du Master GRPS), 2006, https://www.linkedin.com/in/bernardsionneau/overlay/1572326684110/single-media-viewer/ .
[7] Cf. http://www.unglobalcompact.org. Le 31 janvier 1999, dans un discours au World Economic Forum de Davos, le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan proposait aux responsables du monde des affaires de participer au Global Compact, une initiative qui rassemblerait des entreprises, des agences de l’ONU (Human Rights, Environment, Labour, Development, Industrial Development), des partenaires sociaux, des représentants de la société civile, dans un soutien commun au respect de 9 grands principes dans les domaines des droits de l’homme, du travail et de l’environnement auquel viendra s’ajouter un 10ème principe (engagement à lutter contre la corruption). La phase opérationnelle de l’initiative a été lancée le 26 juillet 2000 à New York.. Parmi les sociétés françaises participantes en 2003 : Colas, Crédit Agricole, crédit Mutuel, Dassault Aviation, EADS France, France Telecom, Galeries Lafayettes, Gaz de France, etc.
[8] Cf. http://www.developmentgoals.org. En septembre 2000, les Etats membres des Nations unies adoptaient à l’unanimité la « déclaration du millénaire » (The Millenium Declaration) dans le but de réduire la pauvreté et d’améliorer les conditions de vie des populations à l’échelle du globe. A la suite d’entretiens avec des responsables d’agences internationales dont la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, l’OCDE et les agences spécialisées des Nations unies, l’Assemblée Générale établissait que les « Objectifs de développement du millénaire » (The Millenium Goals) représentaient le moyen de réaliser ce programme ambitieux d’ici 2015. Ces objectifs sont au nombre de huit : l’éradication de l’extrême pauvreté et de la faim ; la mise en place d’un accès universel à l’éducation primaire ; la promotion de l’égalité des sexes ; la réduction de la mortalité infantile ; l’amélioration des conditions de la maternité ; la lutte contre les grandes endémies (sida, malaria, etc.) ; la protection durable de l’environnement ; la mise en place d’un partenariat global pour promouvoir le développement. Si les sept premiers objectifs se renforcent mutuellement et ont été conçus pour réduire la pauvreté sous toutes ses formes, le huitième porte avant tout sur les moyens destinés à réaliser les sept autres. Dans ce domaine, le secteur privé est appelé à jouer un rôle essentiel, précisé dans un autre document paru en 2003 et intitulé « Business and the Millenium Development Goals », United Nations Development Programme and The Prince of Wales International Business Leaders Forum, cf. http://www.iblf.org/activities.jsp
[9] Cf. Bernard Sionneau, « Une théorie du risque-pays » (IIème partie), Géoéconomie n°19, automne 2001, p. 185. L’intitulé de cette publication, en deux parties, aurait d’ailleurs dû être : « Une théorie de la dynamique mondiale et du risque-pays ».
[10] Cf. Bernard Sionneau, Jean-Louis Duqueroix, Laurence Harribey et alii, Globally Responsible Leadership: A call for Engagement, EFMD/UNOGC, 2005, http://www.globallyresponsibleleaders.net.
[11] Cf. en particulier l’initiative intitulée : « The double Bottom Line : Investing in California’s Emerging Markets », lancée par l’État de Californie pour impliquer les collectivités territoriales et les grands fonds publics de l’Etat (CalPERS et CalSTRS – parmi les plus importants en termes d’actifs gérés aux Etats-Unis) dans un effort d’investissement destiné à créer du développement durable partout en Californie (lutte contre la pauvreté, le creusement des inégalités et les problèmes d’environnement) mais aussi dans les pays émergents. Une remarque, du « State Treasurer » Angelides, éclaire les fondements de la démarche : « La distance entre Pacific Palisades et Compton va bien au-delà des quelques miles qui séparent ces deux communautés. Cette division croissante a des conséquences directes qui sont autant de menaces pour le futur de l’Etat de Californie ». Jusqu’ici, ce sont 8 milliards de dollars qui ont été investis pour soutenir l’Initiative, in « Sustainable Investment for Our Future », Remarks by California State Treasurer Phil Angelides to the Environmental Entrepreneurs Forum, Palo Alto, CA, May 5, 2003, http://www.treasurer.ca.gov/news/speeches/20030505.htm.
[12] Cf. le site conçu à l’initiative de deux associations: Amnesty International and The Prince of Wales International Business Leader Forum, intitulé « Business and Human Rights: A Geography of Corporate Risk », http://www.humanrightsrisk.com. Le lecteur peut consulter un ensemble de 7 cartes détaillant les pays où sont recensés divers cas d’atteinte aux droits de l’homme. Sont indiqués également les secteurs de l’économie : activités minières, agroalimentaire, industrie pharmaceutique et chimique, infrastructure et services essentiels (eau, électricité, etc.), production et assemblage, défense, fabrication de matériel informatique et télécommunications – tous secteurs dans lesquels des entreprises étrangères impliquées et listées courent le risque d’être associées à des pratiques de violation des droits de l’homme. Il est complété par une autre initiative de ces deux associations intitulée : « Human Rights : Is It Any of Your Business ? » S’adressant aux échelons du management stratégique et opérationnel, cette initiative permet aux entreprises d’analyser l’interface unissant leurs opérations aux contextes sociaux dans lesquels elles interviennent et de formuler en priorité des politiques respectueuses des droits de l’homme. Cf. « Management Primer » on Prince of Wales International Business Leaders Forum (IBLF), http://www.iblf.org et Amnsety International UK, http://www.amnesty.org.uk. Dans le cas d’Amnesty International, ce type de démarche correspond à une volonté, de la part de l’ONG, de ne plus se limiter à la défense des seuls « droits civils et politiques », mais d’intégrer aussi, dans son action, les « droits économiques, culturels et sociaux ». En 2000, elle inaugurait ainsi un programme sur la relation entre « droits économiques et droits humains », in Christian Losson, « Le virage des ONG des droits de l’homme : Amnesty s’engage dans la défense des droits économiques », Libération, 23 août 2001.
[13] Cf. la grille utilisée par le fonds de retraite public CalSTRS pour évaluer ses investissements dans le monde (« CalSTRS 20 risk factors ». Sur les 20 indicateurs utilisés, au moins 6 (Respect for Human Rights, Respect for Civil Liberties, Respect for Political Rights, Discrimination Based on Race/Sex/Disability/Language/Social Status, Worker Rights, Environmental, War/Conflicts/Acts of Terrorism) sont issus de la problématique RSE-DD contenue dans les principes du Pacte Mondial de l’ONU.
[14] Dr. Angel Cabrera, President, Thunderbird, The Gavin School of International Management, “Corporate Social Responsibility: The Key to Global Business Success”, Foreign Press Centre Briefing, Washington, DC, March 2, 2005, http://fpc.state.gov/fpc/42886.htm . Parmi les outils en gestation destines à mettre les entreprises multinationales en phase avec les droits de l’homme, le lecteur peut se référer au travail accompli par une sous-commission de l’ONU, intitulé : « Norms on the Responsibilities of Transnational Corporations and Other Business Enterprises with Regard to Human Rights », UN Sub-Commission on the Promotion and Protection of Human Rights, Document : http://www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/(Symbol)/E.CN.4.Sub.2.2003.12.Rev.2.En?Opendocument. D’autres instruments, à vocation universelle viennent compléter ce type de démarche. Il s’agit dans le domaine de la protection du droit des travailleurs, de « International Labour Organization (ILO) Tripartite Declaration of Principles Concerning Multinational Enterprises and Social Policy ». Adoptés en 1977 par l’instance de gouvernance de l’OIT (ILO en anglais), et revu en 2000, cet ensemble de principes a pour vocation d’offrir aux multinationales, mais également à des gouvernements et des organisations syndicales (base ou patronat), des recommandations destinées à les guider dans une démarche de responsabilité sociale organisée autour de plusieurs axes : l’emploi, la formation, les conditions de travail et de vie, les relations professionnelles, cf. http : http://www.ilo.org/public/french/employment/multi/download/french.pdf et www.ilo.org/multi
[15] cf. « Les agences de notation sociétale : quel impact réel ? », Sociétal, n°50, octobre 2005.
[16] Le 21 février 2002, était publié au Journal Officiel un décret d’application de la Loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (NRE). Ce décret rendait obligatoire, pour les sociétés cotées sur un marché réglementé, la fourniture, dans leur rapport d’activité, d’informations sur les conséquences sociales, territoriales et environnementales de leurs activités. La partie consacrée aux informations sociales devrait renseigner les point suivants : l’effectif total, les embauches et les informations éventuelles sur les plans réduction et de sauvegarde de l’emploi, l’organisation du temps de travail, les rémunérations, les relations professionnelles et le bilan des accords collectifs, les conditions d’hygiène et de sécurité, la formation, l’emploi et l’insertion des travailleurs handicapés, les œuvres sociales, l’importance de la sous-traitance et la façon dont l’entreprise prend en compte l’impact territorial de ses activités en matière d’emploi et de développement régional. Quant à la partie consacrée aux conséquences de l’activité sur l’environnement, elle aborderait désormais les consommations de ressources en eau, en matières premières, en énergie, les rejets affectant l’environnement comme les gaz à effet de serre. En outre, les sociétés devaient indiquer les mesures prises pour limiter les atteintes portées à l’équilibre biologique, aux milieux naturels, aux espèces ainsi que les démarches internes pour mieux former et informer leurs salariés sur l’ environnement, pour réduire les risques ou promouvoir le recours aux énergies renouvelables.
[17] Jean Ziegler, L’empire de la honte, Fayard, 2005, pp. 279-284. Ce dernier est rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation..
[18] Pour ne pas laisser la société Nestlé comme seul exemple d’expansion internationale « à risques » pour des populations et des pays, le lecteur trouvera en annexe : Bernard Sionneau, « Three cases of Globally Irresponsible Leadership (Enron, Union Carbide India et Citigroup) », un texte conçu pour amorcer les discussions sur l’évolution de la formation aux affaires, conduites dans le cadre de « Globally Responsible Leadership Initiative », par de grandes entreprises et Business Schools partenaires (dont BEM), originaires de 4 continents, in GCUN/EFMD, GRLI 3rd International Meeting, Johannesburg, Février 2005, https://worldissuesandservices.org/2018/12/01/globally-irresponsible-management-three-cases/ .
[19] Principes de conduite des affaires du groupe Nestlé, première édition 1998, deuxième édition, mars 2002.
[20] Jean Ziegler explique le surnom avec les mots suivants : « C’est un homme chaleureux et habile. Alpiniste confirmé, constamment bronzé, il témoigne d’une énergie peu commune. Brillamment intelligent, séducteur élégant, il sait se montrer proche des gens. Il a des manières douces et le sourire avenant. On l’appelle le Chanoine », ibid., p. 281.
[21] Cf. P. Brabeck-Letmathe (Administrateur délégué), Principes de conduite des affaires du groupe Nestlé, 2ème édition, mars 2000, p. 3.
[22] Breaking the Rules, Stretching the Rules, International Baby Food Action Network (IBFAN), 2004, p. 54.
[23] Ibid., p. 53.
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] « Résumé de la politique de Nestlé en matière de commercialisation des laits infantiles », in Principes de Conduite des affaires du groupe Nestlé, deuxième édition, mars 2002, p. 30.
[27] Breaking the Rules, Stretching the Rules, op. cit.,p. 54.
[28] Cf. l’enquête mondiale d’IBFAN sur deux axes : Section 1 : « Promotion of Formulas » ; Section 2 : « Complementary Foods Promoted as Breastmilk Substitutes », in Breaking the Rules, Stretching the Rules, op. cit.
[29] « Résumé de la politique de Nestlé en matière de commercialisation des laits infantiles », p. 30.
[30] Cf. “Nestlé and the marketing of baby foods”, IBFAN Briefing Index Papers, http://www.ibfan.org/english/news/briefing/bpaper00.html .
[31] « Stratégie Mondiale : l’allaitement au sein est déterminant pour la survie de l’enfant », OMS, 23 mars 2004, http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2004/pr19/fr/index.html .
[32] Principes de conduite des affaires du groupe Nestlé, Deuxième édition, mars 2002, p. 3. Comme indiqué dans la préface écrite par Peter Brabeck-Letmathe, il lui est apparu nécessaire d’ajouter à la première édition de 1998 un certain nombre de précisions dans les domaines suivants : la politique de Nestlé concernant les ressources en eau ; les principes de gouvernement d’entreprise de Nestlé ; l’intégration des principes du Pacte Mondial (« Global Compact ») des Nations unies.
[33] Il s’agit de Sara Lee, Procter & Gamble, Tchibo, Kraft (propriété de Philip Morris).
[34] Jean Ziegler, L’empire de la honte, op. cit., p. 174.
[35] Ibid., pp. 172-173.
[36] Principes de conduite des affaires du groupe Nestlé, op.cit., p. 11.
[37] Cf. la note n°2.
[38] Jean Ziegler, L’empire de la honte, op.cit., pp. 290-291.
[39] Ibid., pp. 292-293.
[40] Cf. sur le sujet, Bernard Sionneau, « Globally Irresponsible Management: three cases », en annexe à ce document, texte présenté par l’auteur à Johannesburg en Février 2005 dans le cadre des activités de la GRLI (EFMD/UNGC), https://worldissuesandservices.org/2018/12/01/globally-irresponsible-management-three-cases/ .
[41] Cf. http://www.developmentgoals.org. En septembre 2000, les Etats membres des Nations unies adoptaient à l’unanimité la « déclaration du millénaire » (The Millenium Declaration) dans le but de réduire la pauvreté et d’améliorer les conditions de vie des populations à l’échelle du globe. A la suite d’entretiens avec des responsables d’agences internationales dont la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, l’OCDE et les agences spécialisées des Nations unies, l’Assemblée Générale établissait que les « Objectifs de développement du millénaire » (The Millenium Goals) représentaient le moyen de réaliser ce programme ambitieux d’ici 2015. Ces objectifs sont au nombre de huit : l’éradication de l’extrême pauvreté et de la faim ; la mise en place d’un accès universel à l’éducation primaire ; la promotion de l’égalité des sexes ; la réduction de la mortalité infantile ; l’amélioration des conditions de la maternité ; la lutte contre les grandes endémies (sida, malaria, etc.) ; la protection durable de l’environnement ; la mise en place d’un partenariat global pour promouvoir le développement. Si les sept premiers objectifs se renforcent mutuellement et ont été conçus pour réduire la pauvreté sous toutes ses formes, le huitième porte avant tout sur les moyens destinés à réaliser les sept autres. Dans ce domaine, le secteur privé est appelé à jouer un rôle essentiel, précisé dans un autre document paru en 2003 et intitulé « Business and the Millenium Development Goals », United Nations Development Programme and The Prince of Wales International Business Leaders Forum, cf. http://www.iblf.org/activities.jsp
[42] Créée en 1994 par trois collectifs fondateurs regroupant une centaine d’ ONG dont Médecins du Monde, Handicap International, Action Contre la Faim, CCFD, etc. qui partagent une éthique commune en matière de programmes de développement et d’actions d’urgence pour les populations vulnérables des pays du Sud.
[43] « Réformer l’aide publique au développement », Coordination Sud, 18/08/2004.
[44] C’est le titre d’un article de Valérie Hoh et Barabara Vignaux, Le Monde Diplomatique, Février 2006, p. 12.
[45] Ibid. Le lecteur trouvera ci-dessous une définition de la genèse et des missions de cette organisation.
[46] François-Xavier Verschave et Anne-Sophie Boigallais, L’aide publique au développement, Paris : Syros, 1994, pp. 9-10.
[47] Créée en 1946 par l’Etat pour assurer les activités des entreprises françaises à l’exportation, la Compagnie Française pour l’Assurance du Commerce Extérieur (COFACE) a été privatisée en 1994. Elle continue toutefois, outre son activité privée, à gérer, pour le compte de l’Etat, une large gamme des garanties publiques à moyen et long terme (assurance-crédit export, garantie des investissements, assurance change, etc.) des contrats civils et militaires. Il s’agit de risques non assurables par le marché privé, au bénéfice des entreprises commercialisant des produits et services dont l’origine est, au moins en partie, française. La Coface gère également les accords conclus dans le cadre du Club de Paris pour consolider les dettes publiques contractées par les pays débiteurs.
[48] Pour prendre connaissance des nouveaux circuits utilisés par les entreprises de la défense du monde entier pour payer leurs commissions, contournant ainsi la convention OCDE de 1997 (36 pays signataires seulement en 2006) interdisant le paiement de commissions à des agents publics étrangers, cf. « De nouveaux circuits pour payer les commissions », Intelligence Online, n° 524, du 26 mai au 8 juin 2006.
[49] Cf. François-Xavier Verschave et Anne-Sophie Boigallais, op. cit., p. 14.
[50] Ibid., p. 75.
[51] Ibid., p. 58.
[52] Ibid, p. 10.
[53] Décision du Cicid en date du 14 février, in Guillaume Olivier, L’Aide Publique au Développement : Un outil à réinventer, Editions Charles Léopold Mayer, 2004. Ouvrage disponible sur Internet, http://www.eclm.fr/source/pdf/originaux/147.pdf . Les pays riches se sont engagés à « délier » l’aide accordée aux 48 pays les moins avancés (PMA) de la planète à partir du 1er janvier 2002. « Mais sont exclues de cet engagement : l’aide alimentaire dont les Etats-Unis sont les plus gros fournisseurs et l’assistance technique, car beaucoup de pays donateurs ont une clientèle captive dans les pays « aidés » et ne souhaitent pas se trouver en concurrence avec des entreprises étrangères », in Marie-Claude Smouts, Dario Battistella, Pascal Vennesson, Dictionnaire des Relations Internationales, 2ème édition, p. 9.
[54] En 1994, Verschave et Boisgallais signalaient que seulement 25% de l’aide publique française multilatérale (coopération économique, sociale, humanitaire) étaient délégués aux institutions internationales (Nations unies, Banque Mondiale, CEE, etc.) permettant ainsi à la France d’en contrôler seule les 30 milliards restants, indépendamment des objectifs internationaux de développement ; quant à l’aide bilatérale française (coopération technique, aide-projet ou aide-programme, aide macroéconomique), elle restait à 99% entre les mains du gouvernement, les ONG françaises en récupérant la portion congrue, un chiffre à comparer avec les ONG anglaises, suisses, canadiennes ou américaines qui recevaient entre 8 et 13% de l’APD de leur gouvernement. Pour ces deux auteurs, cette situation expliquait ainsi « le côté timoré et contenu de la critique des ONG. Le gâteau est petit, on cherche plutôt à se faire bien voir pour passer devant ses collègues », op. cit., pp. 8-9.
[55] Cf. Guillaume Olivier, op. cit., pp. 58-65.
[56] Régis Mabilais écrivait en 2004 : « La Coface a, aujourd’hui, une situation équilibrée : les primes demandées couvrent le montant de remboursements des sinistres. Mais dans les décennies 80-90, le mécanisme d’assurance-crédit de la Coface pour le compte de l’Etat a généré une dette publique bilatérale de 15, 4 milliards d’euros (101 milliards de francs selon la Banque de France) ». Mabilais précisait également que, en vue de rendre plus lisible la dette publique bilatérale générée par le mécanisme Coface et le respect des engagements de la France en matière de développement et de coopération internationale, la Plate-forme française pour la réforme de la Coface (une quinzaine d’associations) et la Plate-forme Dette et Développement (une trentaine d’associations et de syndicats français) réclamaient la création d’une Commission d’enquête parlementaire. Cette dernière aurait plusieurs missions : obtenir un audit global et détaillé de toutes les créances détenues par l’Etat français par l’intermédiaire du mécanisme Coface ; fournir des informations précises sur l’état du remboursement des sinistres garantis ; obtenir le contrôle de la politique gouvernementale en matière d’APD afin que la France respecte ses engagements internationaux (cf. Conférence Internationale de Monterey – 2002) en matière d’augmentation de l’APD et d’ « additionalité » (ne pas empiéter sur l’APD pour financer des allégements de dette), in « La Coface à l’origine d’une dette colossale », Coordination Sud, Actualités du financement du développement, mercredi 15 décembre 2004.
[57] Cf. François-Xavier Verschave et Anne-Sophie Boigallais, op. cit., p. 37. Selon un rapport du CAD de l’OCDE paru en 2002, « Seulement 0,5% de l’aide bilatérale française serait destiné à des programmes de santé de base et 1,5% à des programmes d’éducation de base. Tous ensemble, les secteurs de la santé, de l’eau, l’éducation de base, le renforcement des capacités de l’Etat et de la société civile, ainsi que les programmes de maîtrise de la démocratie, se partageraient moins de 12% de l’APD », in Guillaume Olivier, op. cit., p. 72.
[58] En Côte d’Ivoire, l’ancien ministre de l’Économie Conan Bédié, éclaboussé par l’affaire de la surfacturation des complexes sucriers a pourtant ensuite été employé par la Banque Mondiale. Quant à la fortune des notables ivoiriens, elle se confondait avec la distribution de ces fameux postes de « quotataires », les 45 intermédiaires exclusifs de la commercialisation du café et du cacao. Pour finir, les 90 000 détenteurs des revenus les plus importants de la Côte d’Ivoire ne payaient jamais d’impôts et oubliaient de payer leur note d’électricité, in François-Xavier Verschave et Anne-Sophie Boigallais, op. cit., pp. 87-88.
[59] Sur l’étude scientifique du phénomène de « corruption », cf. Jean-Fançois Médard, « L’évaluation de la corruption : approches et problèmes », in L’Evaluation des Politiques de Développement : Approches Pluridisciplinaires, L’Harmattan, 2001, pp. 53-90.
[60] Cf. Bernard Sionneau, « La création illicite de valeur : agents, stratégies, effets induits », in « Management et Création de Valeur », Actes du Colloque International organisé par BEM, en collaboration avec L’Université des Sciences Economiques et d’Administration Publique de Budapest, Bordeaux, 25 et 26 Avril 2002.
[61] Op. cit.
[62] Les membres de la commission spéciale du Sénat américain (« Commission Levin »), formée en 1998 pour étudier cette activité et ses rapports avec le blanchiment, en ont proposé la définition suivante: « Le ‘private banking’ est un mécanisme qu’utilisent de riches particuliers pour gérer d’immenses sommes d’argent dans des comptes secrets. Les ‘private banks’ sont des banques à l’intérieur de banques plus importantes, qui se distinguent par deux éléments : la taille des comptes gérés (les clients potentiels doivent en général commencer par effectuer un dépôt minimum d’un million de dollars) ; l’attribution, pour chaque client, d’un banquier attitré, chargé de gérer son compte », in “ Levin says U.S private banks profit off foreign corruption : Minority-led subcommittee investigation highlights four cases which illustrate weaknesses in private banking system”, November 9, 1999.
[63] Cf. sur le sujet, Thierry Godefroy, Pierre Lascounes, Le Capitalisme Clandestin : l’illusoire régulation des places offshore, La Découverte (Cahiers Libres), 2004.
[64] Pour sortir de l’Afrique, si l’on prend le cas d’un pays d’Amérique du Sud comme l’Argentine, l’évasion fiscale qui s’élevait en 1998 à quelques 40 milliards de dollars privait l’Etat de la moitié des recettes fiscales qu’il aurait dû normalement encaisser. Et la fortune placée à l’étranger des dirigeants politiques, syndicaux et du patronat atteindrait les 120 milliards de dollars, in Carlos Gabetta, « Crise totale en Argentine », Le Monde Diplomatique, Janvier 2002, p. 3.
[65] Cf. Oxfam GB Policy Paper, Tax Havens : releasing the hidden billions for poverty eradication, cf. “The impact of financial havens on developing countries” (part 3), http://www.oxfam.org.uk/policy/papers . cf. aussi, Antoine Dulin et Jean Merckaert, Biens mal acquis : A qui profite le crime ?, Rapport CCFD-Terre Solidaire, Juin 2009.
[66] « Le Groupe Banque Mondiale (The World Bank Group) » qui fédère les efforts de 184 pays, est organisé autour de deux institutions de développement et de trois autres institutions « affiliées ». Les deux institutions « centrales » sont la « Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement » et « l’Association Internationale pour le Développement ». Les trois « affiliées » sont : « la Compagnie Financière Internationale », « l’Agence pour la Garantie de l’Investissement Multilatéral » et le « Centre International pour la Gestion des Différents relatifs aux Investissements ».
[67] Comme l’expliquent Damien Millet et Eric Toussaint, « Contrairement à l’Assemblée Générale des Nations unies où chaque pays possède une voix et une seule (avec un exception de taille au Conseil de Sécurité où cinq pays détiennent chacun un droit de veto), le FMI comme la Banque Mondiale accorde à chaque pays une quantité de droits de vote en fonction de son influence politique et économique présumée. Les Etats-Unis détiennent ainsi plus de 17% des droits de vote, suivis par le Japon et l’Allemagne (environ 6% chacun), la France et le Royaume-Uni (environ 5% chacun). A titre de comparaison, la Chine ne possède que 2,94% des droits de vote et le groupe emmené par la Guinée Equatoriale qui regroupe 24 pays d’Afrique noire francophones et lusophones, en possède seulement 1,41%, », in « Dette : le FMI ne s’efface pas », Libération, mardi 09 août 2005.
[68] Un rapport du bureau indépendant d’évaluation du FMI, publié, dans la 3ème semaine de mai 2011 livre les conclusions suivantes sur les travaux de l’institution : « Recherche institutionnellement orientée », « biais idéologiques », « autocensure », « conclusions préconçues », « faible diversité d’approches théoriques et plus encore, empiriques », « étroitesse de vues », « cadre analytique inapproprié aux réalités des pays étudiés », « incapacité répétée à citer des travaux de chercheurs locaux ». Cette enquête jette, selon Pierre Rimbert, une lumière crue sur « la science économique dont se prévalent les directeurs généraux successifs pour administrer urbi et orbi des leçons de bonne conduite. » Et cela alors que les études du Fonds: « Perspectives de l’économie mondiale », « Rapport sur la stabilité financière dans le monde », « Consultations au titre de l’article IV », sont lus avec attention par les dirigeants de la planète et avec terreur par ceux des pays débiteurs. Les plans d’ajustement structurel imposé aux pays émergents ou en crise leur doivent beaucoup. Après examen des travaux (l’ensemble des productions analytiques du Fonds) produits par le fonds sur près d’une décennie (1999-2008), les conclusions suggèrent que « loin de nourrir la réflexions stratégique du Fonds, les travaux de recherche servent à légitimer ses présupposés idéologiques. Les études du FMI sont hautement prévisibles et ne permettent pas l’expression de points de vue alternatifs. La plupart des conclusions et recommandations formulées dans les séries ‘documents de travail’ et ‘questions générales’, ne sont pas étayées par les développements », in Cf. « Research at the IMF: Relevance and Utilization », Independent Evaluation Office of the International Monetary Fund, Washington DC, may 2011, in Pierre Rimbert, « Bonnet d’ âne pour le FMI », Le Monde diplomatique, août 2011, p. 2.
[69] Jean Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Fayard, 2002, p. 63.
[70] Les mesures contenues dans le « consensus de Washington » sont les suivantes : réforme de la fiscalité se traduisant par un abaissement de la charge fiscale des revenus les plus élevés, pour inciter les catégories sociales les plus aisées à effectuer des investissement productifs et, dans le même temps, suppression des exceptions fiscales pour les foyers ou individus pauvres afin d’accroître le volume de l’impôt ; libéralisation des marchés financiers ; privatisation des entreprises étatiques ou paraétatiques ; dérégulation de l’économie ; politiques monétaires restrictives pour lutter contre l’inflation ; garantie de l’égalité de traitement entre investissements autochtones et étrangers afin d’accroître la sécurité et le volume des IDE ; protection renforcée de la propriété privée ; promotion de la libéralisation des échanges par la baisse des tarifs douaniers ; développement des secteurs économiques capables d’exporter leurs biens ; limitation du déficit budgétaire ; suppression des subventions d’Etat aux opérateurs privés pour assurer la transparence des marchés ; priorité accordée aux dépenses d’infrastructures, ibid., pp. 63-65.
[71] Tous les chiffres in Guillaume Olivier, op. cit., pp. 26-27.
[72] Ibid., p. 26.
[73] Cf. sur les fondements et le contenu idéologique du concept, Bernard Cassen, « Le piège de la gouvernance », Le Monde Diplomatique, Juin 2001, p. 28; Carlos Milani, « La globalisation, les organisations internationales et le débat sur la gouvernance », in GEMDEV, Mondialisation : Les mots et Les Choses, Karthala, p. 169.
[74] Cité in Pierre Baudet, « 2005 : Triste Bilan pour l’Afrique », Alternatives (Canada) : Réseau d’action et de communication pour le développement international, 2 janvier 2006, http://www.alternatives.ca/article2303.html .
[75] Il s’agit du Benin, de la Bolivie, du Burkina Fasso, de l’Ethiopie, du Ghana, du Honduras, de Madagascar, du Mali, de la Mauritanie, du Mozambique, du Nicaragua, du Niger, du Rwanda, du Sénégal, de la Tanzanie, de l’Ouganda et de la Zambie.
[76] Comme le rappellent Damien Millet et Eric Toussaint, « Le poids de ces quatre pays au conseil d’administration du FMI est loin d’être négligeable : chacun représente dans ce conseil un groupe d’une dizaine de pays. A eux quatre, ils détiennent 16, 32% des droits de vote. C’est suffisant pour bloquer le FMI. En effet, les décisions importantes engageant l’avenir du FMI nécessitent 85% des droits de vote. D’ordinaire, cela permet aux Etats-Unis d’empêcher toute évolution qu’ils n’approuvent pas. Cette fois-ci, de ‘petits’ pays’ s’en emparent », in op.cit.
[77] Cf. Guillaume Olivier., pp. 23, 27 à 30.
[78] Cf. Joseph Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, 2002.
[79] Les exemples tirés des analyses de Stiglitz ont été cités par Guillaume Olivier, op. cit., pp. 22-23.
[80] Jean Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde, op. cit., pp. 209-215.
[81] Cf. Christian Chavagneux, “Les petits pas de la Banque Mondiale”, Alternatives Economiques, n°242, décembre 2005.
[82] « World Bank’s Poverty Reduction Support Credit: Continutity or Change ? », Papers – Debt and Development Coalition Ireland (DCCI), Research, July 2005, http://www.debtireland.org/resources/ddci-re-PRSCRreportFINAL.htm .
[83] Jean Ziegler, op. cit., p. 218.
[84] En 2000, lors de la réunion FMI-Banque Mondiale à Prague, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) arrivait avec un rapport sur le très controversé pipeline, établi par ses avocats et économistes avec la contribution de Human Rights Watch (HRW) et les Amis de la Terre, in Christian Losson, op. cit.
[85] Jean Ziegler, op. cit., p. 219.
[86] Ibid., p. 220.
[87] « ONG : Les dessous du business de la solidarité », L’Expansion, 26/01/2005.
[88] François Grunewald, « L’argent, l’urgence et la reconstruction », Mouvements, novembre-décembre 2000.
[89] Cf. Thierry Pech, Marc-Olivier Padis, Les Multinationales du Cœur : Les ONG, la Politique et le Marché, coll. La République des Idées, Le Seuil, 2004, p. 6.
[90] « ONG : Les dessous du business de la solidarité », op. cit.
[91] Au niveau européen, la coopération avec les ONG a débuté à partir de 1976 à l’initiative de la Commission et du Parlement. Elle se déroule dans cadre de l’Agence Humanitaire de l’Union Européenne (ECHO) ; cette coopération vise au co-financement de projets structurels pour le développement sous la forme d’octroi de crédits ; à cet effet, a été créé un Comité de Liaison (ONGD-UE) qui est la structure représentative des ONG européennes au sein des structures de l’UE. D’autres réseaux d’ONG (Eurostep) privilégient le travail de lobbying pour conserver une plus grande indépendance.
[92] Comme le précisent les textes officiels, « Elle promeut le partenariat avec les ONG, les collectivités territoriales et les entreprises afin de favoriser des synergies entre ces différents acteurs et accroître ainsi l’efficacité de l’aide d’urgence de la France sur le terrain, dans l’intérêt des populations éprouvées, et sa visibilité. » Relevant directement de l’autorité du Secrétaire général du Quai d’Orsay et dirigée par un diplomate, la Délégation est organisée autour de deux pôles d’activités : La Sous-Direction de la Politique et de la Veille humanitaire ; La Sous-Direction des Interventions humanitaires et de l’Evaluation, cf. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/humanitaire_1039/acteurs-francais_2379/etat_2389/delegation-action-humanitaire-dah_4238.html.
[93] Fabien Dubuet, « Le mythe de l’humanitaire d’Etat », Humanitaire, (revue de Médecins du Monde), n°7, Printemps-été 2003.
[94] Comme l’écrit Colette Braeckman, « Depuis l’indépendance, en 1962 tous ceux qui s’intéressaient au Rwanda savaient que le feu couvait.. En 1959 déjà, assistés par les Belges, qui avaient parié sur la majorité ethnique, les Hutus, ces derniers avaient chassé du pays plus de 300 000 Tutsis. Dès l’entrée en guerre, en octobre 1990, du Front patriotique rwandais (FPR) – une organisation politico-militaire se battant pour le retour des exilés et dont les membres, réfugiés en Ouganda, s’exprimaient en anglais -, chaque avancée s’était traduite par des massacres de Tutsis.En août 1993, sous la pression des bailleurs de fonds, des accords de paix furent signés à Arusha, en Tanzanie. Ils prévoyaient la mise sur pied d’un gouvernement de transition dans lequel le FPR serait représenté aux côtés de l’opposition politique, avec la garantie d’une force de paix onusienne. A l’époque, seuls les diplomates étrangers se montrèrent optimistes. A tel point que les pays membres du Conseil de sécurité estimèrent bien suffisant de doter le Rwanda d’un détachement de 2 548 hommes (au lieu des 4 500 que réclamait le commandant de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar), le général canadien Romeo Dallaire) et de limiter son action au chapitre VI de la Charte des Nations unies, qui interdit le recours à la force. Il est vrai que le Rwanda, pauvre et apparemment dépourvu d’intérêt stratégique, subit le contrecoup de la débâcle des Etats-Unis, quelques mois plus tôt, en Somalie et que nul, à part les Belges et les Français, ne souhaitait réellement s’y engager » in « Rwanda, Retour sur un aveuglement international », Le Monde Diplomatique, Mars 2004, p. 20.
[95] Thierry Pech, Marc-Olivier Padis, op.cit., p. 12.
[96] Cité in ibid., p. 29.
[97] Ibid., p. 6.
[98] Jérôme Sgard, sur « Les multinationales du cœur : les ONG, la politique et le marché », in « Lectures », Critique Internationale, n° 23, Avril 2004.
[99] Le « produit-partage » correspond au versement, par une entreprise, d’une somme d’argent à une association après l’achat d’un bien défini par les clients de la première ; quant au « mécénat de compétences », il se traduit par la mise à disposition d’experts, comme le font Cap Gemini ou Ernst & Young lorsqu’ils envoient chaque année des auditeurs chez Planet Rating, spécialiste de la notation des institutions de « micro-finance » ou Sanofi-Aventis qui offre à Médecins du Monde les services d’un juriste et d’un fiscaliste, in « ONG : Les dessous du business de la solidarité », op. cit.
[100] cf. « Les agences de notation sociétale : quel impact réel ? », op. cit.
[101] Dan Gallin, « Syndicats et ONG dans le développement social – Un partenariat nécessaire », Global Labour Institute, 1999.
[102] « International Labour Organisation (ILO) » en anglais.
[103] Dan Gallin, op. cit.
[104] Thierry Pech et Marc-Olivier Padis précisent toutefois que des ONG comme Amnesty International, Human Rights Watch et Greenpeace refusent tout financement public, in op. cit., p. 19.
[105] Comme le rappellent Pech et Padis, « Oxfam a été fondée en 1942 pour porter secours aux populations grecques affamées par l’occupant Nazi. C’est l’une des ONG les plus puissantes de la scène internationale », in op. cit., p. 7.
[106] Cf. la note n° 32.
[107] Un concert géant de musique rock, organisé en juillet 1985 par Bob Geldof et Midge Ure afin de lever des fonds pour soulager les victimes de la famine en Ethiopie.
[108] Stuart Hodkinson, « Dans les eaux troubles de la campagne ‘Make Poverty History’ », Commission pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM), 5 juillet 2005.
[109] Katharine Quarmby, « Why Oxfam is failing Africa? », Cover Story, The News Statesman, Monday 30th May 2005.
[110] Frank Judd, ancien directeur d’Oxfam, devenu représentant du parti travailliste à la chambre des Lords ; Shriti Vadera, ancienne directrice de la Banque américaine UBS Warburg, conseillère de Brown sur les questions de développement international et administrateur d’Oxfam ; Justin Forsyth, ancien directeur en charge de la politique et des campagnes d’Oxfam avant de rejoindre l’équipe de Tony Blair comme conseiller sur ces questions, etc., ibid.
[111] On peut comparer les £180 millions de revenus annuels d’Oxfam en 1999 avec les modestes £1 million de revenus annuels perçus par des ONG plus « progressistes » comme World Development Movement (WDM) ou War on Want, in Stuart Hodkinson, op. cit.
[112] David Harrison, « Ethical wristbands made using ‘slave labour’ », The Sunday Telegraph, 29/05/2005. Cf. aussi Karin Simonson, The Gleneagles Summit: NGO and Civil Society Perspectives on the G8, Report, Centre for Applied Studies in International Negotiations, August 2005.
[113] David Harrison, op. cit.
[114] Stuart Hodkinson, op. cit.
[115] Karin Simonson, op. cit.
[116] cité in Hodkinson, op. cit.
[117] Ibid.
[118] Ibid.
[119] cf. sur ce point précis, le concept de « dette odieuse » et le cas du Brésil, exposé par Jean Ziegler, in L’Empire de la Honte, op. cit., pp. 110-114 et pp. 217-237.
[120] Cf. Marc Chapin, « Un défi aux protecteurs de la nature », in L’Etat de la Planète, n°18, novembre/décembre 2004. L’auteur précise qu’il fait usage de majuscules pour désigner les « Peuples Autochtones et Traditionnels », conformément à la pratique dans le cadre des Nations unies.
[121] Le titre de l’étude était le suivant : « Les nouveaux enjeux critiques dans le domaine de la préservation de la nature dans l’hémisphère sud », in ibid., op. cit., p. 17.
[122] Cf. Ford Foundation Annual Report 2004, pp. 7-8.
[123] Marc Chapin, op. cit., pp. 17-18.
[124] Ibid., p. 18.
[125] Le terme est de Thierry Pech et Marc-Olivier Padis qui l’utilisent pour illustrer le refus de Greenpeace de considérer les impératifs de développement économique que la protection de l’environnement pourrait compromettre, in op. cit., p. 58-59.
[126] Marc Chapin, op. cit., p. 11.
[127] Cité in, ibid.
[128] Thierry Pech et Marc-Olivier Padis, op. cit., pp. 29-30.
[129] “Is Corporate Citizenship Making a Difference?”, An International Academic Symposium hosted by the United Nations Global Compact, the UNISA Centre for Corporate Citizenship (South Africa), and the Lindenberg Center for Global Citizenship (Washington – USA), Accra, Ghana, 21-22 November 2006.
[130] Les questions posées aux participants sont les suivantes: “Do corporate citizenship efforts make a difference at the local level, where the overall impacts of business activity are often uncertain and controversial, especially in areas of conflict? Does corporate citizenship make a difference at the firm level, considering the many unanswered questions on issues such as a company’s sphere of responsibility or influence? Are multi-stakeholder initiatives and partnerships making a difference, bearing in mind the high expectations of such efforts despite lingering uncertainties regarding their impact? Is the Global Compact (or other international corporate citizenship initiatives) making a difference, and how can its various impacts be measured? Are corporate citizenship efforts making a difference to national or international aspirations, particularly in Africa, where the Millennium Development Goals seem most elusive?”